LA SEMAINE DU PRATICIEN INFORMATIONS PROFESSIONNELLES
Actualités
MAGISTRATS
« Avocats et magistrats doivent renouer avec le dialogue »
3 questions à Olivier Leurent, directeur de l’École nationale de la magistrature
Avec 364 auditeurs de justice, l’ENM a accueilli le 1 er février 2016 la plus grande promotion depuis sa création (263 en 2015, 135 en 2009). Ce recrutement exceptionnel s’inscrit notamment dans le plan gouvernemental de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Nommé le 13 juillet dernier à la direction de l’ENM, Olivier Leurent (V. supra JCP G 2016, act. 1057, Portrait) revient sur les enjeux et les défis de la formation des magistrats.
Quels sont les nouveaux enjeux de la formation des magistrats ?
Olivier Leurent : Avec des promotions aux effectifs aussi importants à former sur 31 mois, l’ENM doit relever un défi majeur : maintenir un haut niveau de qualité des enseignements, c’est-à-dire faire en sorte que la quantité de magistrats à former ne se fasse pas au détriment de la qualité de leur formation. Ce recrutement exceptionnel, qui devrait se poursuivre au moins dans les 4 années à venir, est dicté par le manque de moyens humains dont souffrent cruellement les juridictions, notamment en raison des très nombreux départs à la retraite des magistrats nés après-guerre. Il est aussi la conséquence du plan de lutte contre le terrorisme et la radicalisation mis en place par le Gouvernement. Un effort particulier a été mis en oeuvre sur ces sujets depuis 2014. En effet, la question n’intéresse plus seulement les juges spécialisés : l’ensemble des magistrats peut être confronté à la menace terroriste et une formation adaptée est indispensable.
L’offre de formation continue (obligatoire à raison de 5 jours par an) a ainsi été étoffée et les partenariats renforcés (police, pénitentiaire, PJJ, douane, etc.) pour :
– les magistrats spécialisés du pôle antiterroriste du TGI de Paris : avec des sessions sur mesure, telle que celle relative au droit des conflits armés ;
– les magistrats référents anti-terrorisme, désignés dans chaque parquet territorial, qui peuvent être amenés à intervenir dans les premiers temps d’un attentat et qui doivent être notamment formés au contexte géopolitique et aux filières terroristes ainsi qu’aux éléments de police scientifique ou de renseignement ; – l’ensemble des magistrats – particulièrement les JAF, juges des enfants, JAP, juges correctionnels et parquetiers – qui doivent être en mesure d’identifier au mieux les risques de basculement dans la radicalisation.
L’ENM vient, en outre, de créer un nouveau parcours qualifiant disponible en janvier 2017 : « Le cycle approfondi de lutte antiterroriste » qui propose, outre deux sessions généralistes sur le terrorisme, trois modules spécialisés intitulés « prévenir et détecter la radicalisation violente », « développer la coopération internationale opérationnelle », « poursuivre et juger les infractions terroristes ».
Concernant la formation initiale, en raison de l’évolution de la menace, un fil rouge a été mis en place. Des séquences pédagogiques dédiées ont été intégrées depuis 2015 selon trois angles : la sensibilisation à la radicalisation ; l’enseignement des techniques professionnelles liées à la lutte contre le terrorisme et à la prévention ou au traitement des situations de radicalisation ; la nécessaire coopération internationale en matière pénale. Des ateliers techniques, fonction par fonction, sont également proposés sur la base de cas réels.
Enfi n, qu’il s’agisse de formation initiale ou continue, l’ENM proposera un nouvel outil d’ e-learning d’ici la fin de l’année offrant un parcours complet de formation à distance sur la lutte contre le terrorisme. Je crois beaucoup dans ces nouveaux outils pédagogiques.
À la suite du rapport sur la protection des magistrats, l’ENM oeuvre-t-elle en faveur d’un apaisement des relations entre magistrats et avocats ?
O. L. : Dans mon discours d’accueil de la promotion 2016, j’ai insisté sur le fait que l’avocat n’est pas l’adversaire du magistrat mais un partenaire qui concourt à l’oeuvre de justice. La qualité de la décision rendue dépend aussi de la qualité de la relation que le magistrat a su nouer avec lui. Des tensions ont pu se cristalliser entre magistrats et avocats. Or, si leurs relations se détériorent, c’est le justiciable qui en est la première victime. Il ne me paraît pas constructif de pointer les responsabilités des uns et des autres. Il est préférable d’essayer de trouver des remèdes, car l’enjeu c’est la qualité de la justice. Avocats et magistrats doivent renouer avec le dialogue. À l’ENM, la formation initiale réserve aux auditeurs de justice un stage en cabinet d’avocats. C’est le stage le plus long de leur formation. La loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 vient de supprimer sa durée obligatoire de 6 mois. Les travaux parlementaires préconisaient 3 mois, ce qui paraît raisonnable et qui représentera toujours la durée de stage à l’extérieur la plus importante pour l’auditeur. Cette réforme sera soumise au conseil d’administration de l’ENM du 24 octobre prochain en vue d’une application en 2017. Il convient par ailleurs d’indiquer qu’une dizaine d’élèves-avocats sont sélectionnés par le barreau pour effectuer leur stage PPI à l’ENM. Ils suivent à Bordeaux la même scolarité que les auditeurs de justice et sont intégrés dans les directions d’étude, ce qui favorise ainsi les échanges entre futurs magistrats et futurs avocats. Tout cela montre la volonté de renforcer les formations communes aux magistrats et aux avocats à l’ENM comme dans les barreaux. Par ailleurs, il est souvent reproché au juge de travailler de façon isolée. Il est vrai que le magistrat a du mal à inscrire son action dans une réflexion collective.
D’où la création récente des pôles et des projets de juridictions. Il me semble important de développer cette culture du travail collectif au niveau de la formation initiale avec des réflexions sur l’office du juge, l’impartialité, la déontologie. Comme je l’évoquais en accueillant les auditeurs, seule cette éthique collective permettra d’apporter une réponse efficace à l’un des griefs les plus sérieux portés à l’encontre de l’autorité judiciaire, à savoir l’imprévisibilité et l’aléa de ses décisions.
À compter du 1 er janvier 2018, l’ENM sera chargée de la formation initiale d’environ 10 000 conseillers prud’homaux. Comment se prépare cette échéance ?
O. L. : L’ENM intervient de manière croissante dans la formation de juges non professionnels et de
collaborateurs du service public
Propos recueillis par Florence Creux-Thomas
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 41 – 10 OCTOBRE 2016
La Semaine Juridique – Édition Générale
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck