[Commentaire] Loi de programmation et de réforme de la justice : une ambition limitée pour la justice administrative

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 15. 15 AVRIL 2019

Commentaire

Loi de programmation et de réforme de la justice : une ambition limitée pour la justice administrative

La loi du 23 mars 2019 pour la justice va profondément modifier l’organisation de la justice judiciaire ; les dispositions relatives à la justice administrative sont peu nombreuses, mais le souci de la loi est, d’une part, de diffuser le plus largement possible les décisions juridictionnelles, contribuant ainsi à une large politique d’open data, et d’autre part, d’alléger la charge des juridictions administratives, en renforçant les ressources humaines.

L. n° 2019-222, 23 mars 2019 : JO 24 mars 2019 ; JCP A 2019, act. 204

NOTE

Si la loin° 2019-222du23 mars 2019 comprend certaines mesures emblématiques, comme le droit de vote personnel du majeur protégé (art. 11), l’expérimentation dans deux régions de l’attribution de fonctions d’animation et de coordination à certains chefs de cour pour plusieurs cours d’appel, la spécialisation de certaines cours d’appel en matière civile (art. 106), la fusion des tribunaux d’instance au sein des TGI, l’expérimentation de la cour criminelle ou encore la possibilité de procéder à des jugements sans audience en matière civile, elle apparaît moins novatrice s’agissant de la justice administrative, s’intéressant davantage au service public de la justice qu’à la procédure administrative elle-même. La loi du 23 mars 2019 apporte en effet un certain nombre d’évolutions si ce n’est d’innovations,mais traite surtout les questions liées au fonctionnement de la justice administrative sous l’angle des ressources humaines (2). En revanche, la protection des données personnelles et le respect de la vie privée permettent à la loi de cantonner le phénomène de l’open data dans le monde judiciaire (1).

1 – Le respect de garanties essentielles face au numérique dans la justice

La loi tente d’apporter des garanties face à l’irruption de certaines technologies dans le monde la justice. L’encadrement de la fourniture de services en ligne était indispensable (A) ; la loi insiste sur la diffusion des décisions de justice, en leur assurant une large publicité (B).

A. – L’encadrement des services en ligne

Ainsi, dès lors que des personnes physiques ou morales proposent, de manière rémunérée ou non,un service enligne de médiation ou de conciliation, un service enligne d’arbitrage, un service enligne d’aide à la saisine des juridictions, elles sont logiquement soumises aux obligations relatives à la protection des données personnelles et, en principe, au respect du principe de confidentialité. S’agissant des deux premiers cas, elles doivent, de plus, agir avec impartialité, indépendance, compétence et diligence. Confirmant les principes posés par la loi pour une République numérique et par la loi ESSOC, la loi de mars 2019 précise que ces services en ligne ne peuvent avoir pour seul fondement un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel, ménageant ainsi une part d’analyse personnelle des informations. Si un tel traitement est utilisé, les parties doivent en être informées par une mention explicite et doivent expressément y consentir. Les services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation ou d’arbitrage peuvent faire l’objet d’une certification par un organisme accrédité. Ces différentes possibilités ne remettent pas en cause les principes contenus dans la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; elles ne permettent ainsi pas à une personne physique ou morale, grâce à ces services, de donner des consultations juridiques en dehors du cadre juridique que ce texte pose. Le Conseil constitutionnel (Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC : Juris-Data n° 2019-004275) a estimé, pour ces différents services en ligne, qu’ils n’avaient ni pour objet, ni pour effet de limiter l’accès au juge et ne créent donc aucune différence de traitement entre les justiciables.

B. – L’extension de la publicité des décisions juridictionnelles

Dans un autre domaine, et parce que l’open data envahit également la sphère de la justice, la publicité des décisions juridictionnelles a été étendue ; ainsi, sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, « les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique » (CJA, art. L. 10). Un certain nombre de précautions sont cependant prises par le législateur pour protéger tout à la fois les parties au litige, leurs représentants mais aussi les magistrats et les fonctionnaires qui sont intervenus dans la procédure, alors même que le premier alinéa de l’article précité indique que les jugements sont publics et mentionnent le nom des juges qui les ont rendus. Selon les dispositions de la loi du 23 mars 2019 en effet, « les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public ». De plus, « lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe ». Plus originale est sans doute la disposition qui vise à prévenir toute mise en place d’un mécanisme de type prédictif : « Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ».

LA SEMAINE JURIDIQUE – ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

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AUTEUR(S) : Hélène Pauliat, Didier Jean-Pierre, Florian Linditch, Philippe Billet et Michaël Karpenschif.