Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale
LA SEMAINE DU DROIT
AFFAIRES
Concurrence déloyale d’un site internet proposant la mise en relation avec des avocats
Daniel Landry, avocat honoraire, ancien bâtonnier
CA Versailles, 12 e ch., 14 nov. 2017, n° 16/03656 : JurisData n° 2017-023779
La cour d’appel de Versailles déclare qu’en mettant un justiciable en relation avec un avocat sur un site internet une société commerciale détenue par des personnes étrangères à la profession commet une concurrence déloyale au préjudice d’un autre avocat.
Des avocats ont saisi depuis longtemps la manne que pouvait générer le droit routier, notamment quand naquit le permis à points. Les mêmes surent anticiper l’attractivité d’internet, à une époque où le CNB n’avait pas encadré la publicité par internet et les prestations juridiques en ligne ( RIN, art. 10.5 et 19 ). L’un de ces cabinets, le cabinet S., a éclaté, et s’en suit depuis une guerre entre lui et un dissident. Ce dernier tenta de faire fermer le site commercial dont se servait comme support le cabinet S. Cette procédure échoua devant la cour d’appel de Versailles ; laquelle esquiva le débat sur la licéité du site en déclarant, à côté de la question, qu’elle ne pouvait juger si les avocats prêtant leur concours à la société commerciale étaient dans la légalité puisqu’ils n’étaient pas à la cause ( CA Versailles, 14 e ch., 14 mai 2014, n° 13/04017 : JurisData n° 2014-011724 ).
Le dissident lança alors au nom d’anciens clients de ses confrères des actions en nullité des contrats ayant lié ces clients à une société à l’enseigne « Protéger mon permis » ; société servant de « rabatteur » à ses « ex-amis ». Il obtint ainsi que la cour de Paris déclare illicites les trois contrats en cause ( CA Paris, pôle 4, 9e ch., 19 févr. 2015, n° 13/20577, 13/20574 et 13/20562 : JurisData n° 2015-006420, 2015-006896 ; Gaz. Pal. 10 juill. 2015, p. 7, D. Landry ). Ce faisant, la cour d’appel de Paris, en prenant ses responsabilités à l’encontre des braconniers du droit, semblait attendre des instances ordinales qu’elles fassent le ménage dans leurs propres rangs parmi les avocats collaborant activement avec ces derniers.
Toujours est-il que dans l’affaire commentée, c’est, à l’évidence, le dissident qui était cette fois visé à travers une assignation en concurrence déloyale et parasitaire devant le TGI de Versailles lancée par le cabinet S. contre une société commerciale, gérant deux sites servant à ce même dissident de supports pour son propre démarchage. Le premier de ces sites avait comme nom de domaine : « solutions-permis.com », et le second «sauvermonpermis.com ». Par jugement du 31 mars 2016, le TGI de Paris déclara l’action recevable et bien fondée à l’encontre de cette société en ce qu’elle avait commis une concurrence déloyale en exploitant le site « solutions-permis.com ». En revanche le cabinet S. n’obtint pas satisfaction sur ses demandes relatives au site « sauvermonpermis.com. ». En appel, il ne fut plus question du premier site « solutions-permis.com », et tout se cristallisa autour du second : « sauvermonpermis.com ». En définitive, par l’arrêt rapporté, la cour d’appel de Versailles enjoint à la société d’une part de retirer de son site « sauvermonpermis.com » toute référence à une mise en relation avec un avocat, et d’autre part de déréférencer ce même site des annonces commerciales du moteur de recherche Google. Quels sont les motifs de cette décision ? Tout d’abord la cour constate, s’agissant de l’intérêt à agir en concurrence déloyale, que le cabinet S. n’a pas à prouver sa spécialisation dans la défense des infractions routières, domaine ouvert à tout avocat. La cour décrit alors les activités de la société. Puis elle vise globalement la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, avec les notions d’indépendance et de secret professionnel, et en notant que les avocats ont « la prérogative de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, et enfin, particulièrement, celle de représenter les justiciables devant les juridictions ». Elle ajoute que cette réglementation est conforme à la directive européenne sur la communication commerciale des professions réglementées ( PE et Cons. UE, dir. 2006/123/CE, 12 déc. 2006 ). Et conclut que ce site « ne désigne pas les avocats avec lesquels il est offert de mettre les internautes en relation pour les prestations dont il fait la promotion », et qu’il en résulte « une violation de règles communes pour la publicité et le démarchage de la profession ainsi qu’une désorganisation de l’accès au marché, de sorte que toutes les références à une mise en relation avec un avocat constituent un acte de concurrence déloyale à l’activité poursuivie, de droit, par le cabinet S. (…) ».
Il eut été bon que cet arrêt, approuvé quant au fond, n’énonce pas : « Sur l’illicéité du site (…) constitutive de concurrence déloyale » ou « Sur les sanctions de l’illicéité du site », alors qu’il n’était saisi, et n’a statué, que sur l’existence d’une concurrence déloyale. Et si le rappel de la réglementation professionnelle de l’avocat était utile, une motivation extérieure à celle-ci eut été bienvenue pour éviter le reproche de n’être motivé qu’au visa de règles étrangères aux tiers (V. Cass. 1 re civ, 11 mai 2017, n° 16-13.669 : JurisData n° 2017-008818 ; JCP G 2017, 758, F. G’sell , sur la reconnaissance de la licéité des comparateurs d’avocats).
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© LEXISNEXIS SA – LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 50 – 11 DÉCEMBRE 2017
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AUTEUR(S) :
N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck