EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 12. 23 MARS 2020
Droit de retrait et alerte sanitaire
POINTS CLÉS -> Alors qu’on assiste, depuis une vingtaine d’années, à une réelle convergence du droit du travail privé avec celui de la fonction publique, sous l’effet notamment du corpus juridique communautaire, l’exercice du droit de retrait, consacré depuis 1982 dans le secteur privé, connaît plusieurs atténuations dans la sphère publique -> Dérogatoire et peu invoqué, le droit de retrait dans la fonction publique constitue, à l’aune de la crise sanitaire actuelle, un exemple du caractère exorbitant du droit qui régit les « travailleurs publics »
Hadi Habchi, magistrat à la CRC Auvergne-Rhône-Alpes

CONSTITUÉE de plus de cinq millions d’agents, la fonction publique française représente aujourd’hui un véritable archipel de milieux professionnels, d’activités et de compétences exercées par les hommes et les femmes,qui se consacrent à la promotion de l’intérêt général et à la défense du bien public. Depuis plus de trente ans, la fonction publique connaît des transformations profondes : rationalisation organisationnelle, contraintes financières et budgétaires, recherche de performance de gestion, avènement des nouvelles technologies et de la dématérialisation, nouveau rapport à l’usager / citoyen, gestion nouvelle des ressources humaines… Si la culture et le positionnement du fonctionnaire s’avèrent désormais irrigués par la double exigence de modernisation et de proximité, de nombreux efforts restent à accomplir sur les terrains de la qualité de vie au travail (QVT), de la prévention et de la santé / sécurité au travail, dans la fonction publique. Malgré une certaine convergence entre le droit du travail privé et le droit de la fonction publique,force est pourtant de reconnaître qu’aucun accord social pérenne ne s’est concrétisé à ce jour dans la sphère publique sur ce plan,contrairement au secteur privé ; la question de la QVT, tout autant que celle liée à la santé et à la sécurité des salariés du secteur public, se pose avec acuité. À cet égard, l’exercice du droit de retrait dans la fonction publique constitue, notamment en période de crise sanitaire, une illustration de la problématique de la conciliation entre sécurité au travail, principe de continuité du service public et exorbitance du droit de la fonction publique !
Inséré initialement dans le Code du travail par la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 dite « Auroux », le droit de retrait résulte de la nécessité de protéger les salariés du secteur privé des risques de toutes natures auxquels ils sont susceptibles d’être exposés dans l’exercice de leurs fonctions. À cet égard, l’article L. 4131-1 du Code du travail prévoit explicitement que « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (…) / Il peut se retirer d’une telle situation (…) ». Sur ce fondement,si les salariés du secteur privé ont un motif raisonnable de penser que certaines situations présentent un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé, ils peuvent alors exercer leur droit de retrait et interrompre immédiatement leurs activités, et ce tant que leur employeur n’a pas mis en place les mesures de prévention adaptées ou les solutions pertinentes pour remédier au danger. D’ailleurs, en cas de contentieux, le juge doit rechercher in concreto non pas si la situation de travail est objectivement dangereuse ou porteuse de risque imminent, mais si le salarié justifie d’un motif valable et raisonnable de le penser. Deux conditions doivent, dès lors, être réunies : l’existence d’un danger grave, et la survenance imminente du danger dont s’agit. La gravité implique tout d’abord que le danger doit être une menace pour la vie ou la santé physique ou psychique du salarié, résultant par exemple d’une machine non conforme susceptible de le blesser (un appareil d’usinage, une tour à métaux…), ou d’une possibilité avérée ou probable d’agression physique (sur une ligne déterminée de bus ou de train, par exemple, pour un conducteur ou un contrôleur). Ensuite, l’imminence signifie, quant à elle, que le risque est susceptible de survenir dans un délai rapproché. Il importe peu que le dommage se réalise immédiatement ou progressivement, du moment qu’il puisse être envisagé dans un délai proche.
Partant, le pouvoir règlementaire a lui-même, certes tardivement, intégré dans le droit de la fonction publique de l’État ces deux exigences en les transposant au sein du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 modifié,relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique, notamment en ses articles 5-5, 5-6 et 5-7.Ce n’est que par le décret n° 95-680 du 9 mai 1995, que le pouvoir réglementaire est venu rajouter le droit de retrait dans la fonction publique de l’État,en modifiant le décret du 28 mai 1982 précité. Il en est de même pour la fonction publique territoriale, dont le droit de retrait a été consacré par le décret n° 2000-542 du 16 juin 2000. En substance, il est prévu par ces dispositions que « l’agent alerte immédiatement l’autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (…) / Il peut se retirer d’une telle situation. L’autorité administrative ne peut demander à l’agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection ».

La Semaine Juridique – Administrations et collectivités territoriales
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AUTEUR(S) : Hélène Pauliat, Didier Jean-Pierre, Florian Linditch, Philippe Billet et Michaël Karpenschif.