EXTRAIT DE LA REVUE CONTRATS ET MARCHÉS PUBLICS – N° 5 – MAI 2020
Pratique professionnelle
Covid-19 et commande publique : faire face à la crise
Sous la direction de Stéphane BRACONNIER, professeur à l’université Paris II (Panthéon Assas), directeur du JurisClasseur Contrats et Marchés Publics
Claire DESJARDINS, avocate – Taylor Wessing

CONTEXTE
Les mesures strictes de confinement annoncées entre le 12 et le 16 mars 2020 par le président de la République et le Premier ministre provoquent une violente onde de choc qui irrigue toute la chaîne de vie des marchés publics et concessions. Déjà suspendues à l’issue des élections municipales initialement prévues les 15 et 22 mars, les procédures de passation sont paralysées par l’incapacité des services à réunir les instances décisionnelles et, plus encore, par l’incapacité des entreprises, surtout les plus petites, à remettre leurs candidatures ou leurs offres. Affectées par la difficulté à mobiliser leur personnel dans des conditions sanitaires satisfaisantes et par un approvisionnement aléatoire, les entreprises titulaires de marchés publics éprouvent des difficultés à les exécuter dans des conditions conformes aux stipulations contractuelles et cahiers des charges initiaux.
COMMENTAIRES
Quelles sont, dans ces conditions, les réponses que le droit peut apporter à des situations à la fois inédites et porteuses d’effets potentiellement très néfastes sur le plan économique ? S’agissant de la passation des contrats de la commande publique, la plupart des procédures de passation sont enserrées dans des délais divers (de remise des candidatures et des offres, de négociation, de stand-still, de signature, etc.) qui, s’ils ne sont pas respectés, peuvent affecter la légalité du contrat et donc son exécution ultérieure dans des conditions de sécurité optimales. Or, du fait de l’urgence sanitaire et des mesures de confinement qui en découlent, ces délais ne peuvent souvent plus être respectés. Ils le peuvent d’autant moins que, pour les mêmes raisons, le processus électoral devant conduire à l’installation des nouveaux conseils municipaux et organes délibérants des EPCI, puis à l’élection des maires et présidents desdits établissements n’a pu être mené à terme. Les exécutifs sortants ont donc été contraints de rester en fonction, mais leurs pouvoirs sont demeurés, depuis les quelques semaines précédant le premier tour, limités à l’expédition des affaires courantes, ce qui les a empêchés de mener à bien les procédures de passation en cours et, a fortiori, d’en lancer de nouvelles.
Il eût certes été possible, dans ce contexte troublé, d’invoquer la théorie des circonstances exceptionnelles, née de l’arrêt du Conseil d’État, Heyriès, du 28 juin 1918 (Lebon, p. 651), qui permet de substituer à la légalité des « temps ordinaires », une légalité de crise. Certaines illégalités peuvent alors être commises par l’Administration sans, pour autant, emporter la censure du juge. Encore faut-il, pour que cette théorie puisse produire pleinement ses effets, que plusieurs conditions soient réunies, notamment celle liée à l’impossibilité dans laquelle se trouve l’autorité administrative d’agir légalement compte tenu des circonstances (CE, ass., 16 avr. 1948, Laugier : Lebon, p. 161. – Pour une application en matière sanitaire : CE, sect., 20 mai 1955, Sté Lucien, Joseph et Cie : Lebon, p. 276). Cette condition est très exigeante et implique que les illégalités eussent été indispensables pour que, dans les circonstances « de l’époque », l’objectif visé par les mesures prises fût atteint. En d’autres termes, l’Administration doit se trouver dans l’incapacité de faire autrement (CE, ass., 19 oct. 1962, Canal et a. : Lebon, p. 552). Sans doute la crise sanitaire grave liée au Covid-19 pourrait-elle justifier, au cas par cas, certains dépassements de délais ou entorses aux prescriptions procédurales du Code de la commande publique. Mais une telle approche casuistique, nécessairement subjective et donc aléatoire, n’offre pas la sécurité juridique et, surtout, l’agilité qu’exige l’action publique dans ces circonstances.

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AUTEUR(S) : Gabriel Eckert, Pierre Soler-Couteaux