COVID-19 et droit de la concurrence
Quelles adaptations ?

Laurence IDOT, professeur émérite de l’université Paris 2 Panthéon-Assas
Au-delà du contrôle des aides d’État directement affecté, la crise du Covid-19 a également des effets sur les autres branches du droit de la concurrence. À l’instar des autres autorités dans le monde, la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence ont dû adapter dans l’urgence leurs procédures et réorienté leurs actions.
1 – Les conséquences économiques de la pandémie mondiale que nous vivons actuellement sont d’une telle ampleur qu’elles auront nécessairement des effets sur les politiques de concurrence qui avaient été pensées ces dernières années dans un monde dominé par l’économie de marché et le libre-échange, dans lequel la croissance,même limitée, était une donnée acquise…Ce modèle montrant chaque jour davantage ses limites, les politiques de concurrence devront être revues pour mieux s’articuler avec les autres politiques publiques.Nul doute que l’agenda des enceintes internationales au sein desquelles ces questions sont débattues sera modifié.
2 – Dans l’immédiat, nos systèmes juridiques permettent déjà aux États d’intervenir, comme l’illustrent deux exemples, d’une portée très différente.
Les États peuvent tout d’abord déroger au principe même de libre concurrence et de fixation des prix. En-dehors des mesures de réquisition, cela peut se traduire par l’instauration d’un contrôle des prix sur les produits jugés essentiels. Tel est le cas en France pour le gel et les solutions hydroalcooliques, dont le prix a été déterminé par le décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 adopté sur le fondement de l’article L 410-2 al. 3 du Code de commerce, qui permet en cas de crise, ou de situations exceptionnelles, des dérogations temporaires au principe de liberté des prix affirmé à l’alinéa 1. Les États peuvent surtout essayer de soutenir l’économie par des mesures massives d’aides directes ou indirectes, dans les limites fixées dans l’Union européenne par le contrôle des aides d’État. La réponse des institutions européennes a été très rapide. Forte de l’expérience de la crise de 2007/2008, la Commission a aménagé de manière significative ce contrôle pour permettre aux États membres de prendre les mesures de soutien immédiat que l’urgence imposait. Alors que le cadre temporaire a été adopté le 19 mars 2020, la liste des décisions intervenues une semaine plus tard par la Commission était déjà impressionnante. La première décision fondée sur ce texte, en date du 21 mars, porte précisément sur les trois régimes de soutien à l’économie française, qui ont été déclarés compatibles. Une deuxième décision concernant la France a été adoptée le 30 mars.
3 – Parallèlement dans les autres composantes du droit de la concurrence (antitrust et contrôle des concentrations), les autorités ont dû s’adapter. Certes, la question des relations entre entreprises en difficulté et droit de la concurrence est loin d’être nouvelle et a été maintes fois étudiée,mais dans un cadre plus limité. L’on s’intéressait principalement aux difficultés de certaines entreprises, qu’elles soient contrevenantes, ou rachetées, plus rarement aux difficultés d’un secteur spécifique. La globalité de la crise actuelle auxquelles s’ajoutent les mesures de confinement inédites appelle des réponses d’une autre ampleur.
De nombreuses autorités de concurrence dans le monde ont publié ces derniers jours des communiqués et autres déclarations annonçant diverses mesures, certaines allant jusqu’à la mise en place de Task forces. Leur liste suit assez logiquement la progression de la pandémie. Les autorités chinoises avaient ouvert le feu dès le début de février. Elles ont été bientôt rejointes par les autorités du continent américain et européen. Au sein de l’Union, en-dehors des prises de position de la Commission, mérite d’être signalée la déclaration commune émanant des autorités membres du Réseau européen de la concurrence en date du 23 mars 2020, qui s’ajoute aux mesures individuelles prises par les Autorités nationales de concurrence (ANC), dont en France l’Autorité de la concurrence.