EXTRAIT LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 13. 31 MARS 2020
POINTS CLÉS ➤ La crise sanitaire liée au Covid-19 est extraordinaire ➤ Le télétravail devient la règle ; l’exception est d’aller travailler dans l’entreprise ➤ Malgré une bonne maîtrise du dispositif, compte tenu du recours exponentiel à ce mode d’organisation du travail, la pratique actuelle bouleverse les réflexes acquis.
Henri Guyot, avocat associé, brl avocats, docteur en droit

TELLE une fédération sportive, chaque entreprise a défini les règles du jeu dans le cadre de chartes ou d’accords relatifs au télétravail.Nombreux ont alors été les salariés qui ont expérimenté le télétravail de façon amateur ; la plupart du temps, il s’agissait d’une organisation pendulaire, c’est-à-dire un jour ou deux par semaine.Après un entraînement plus poussé à l’occasion de la période de grève dans les transports publics, est venu le temps d’exercer en professionnel. Alors que le télétravail était une faculté, il devient une obligation dans le cadre des mesures de confinement décidées pour lutter contre la pandémie de Covid-19. À ce titre, il conditionne la liberté de déplacement du citoyen.En effet,même si la condition n’est pas expressément visée dans le décret du 16 mars 2020, l’interprétation donnée par le « questions-réponses » diffusé par le gouvernement est stricte. Les déplacements professionnels sont autorisés du « domicile [au] lieu de travail dès lors que le télétravail n’est pas possible »(Min. trav.Q-R spécial Covid-19, 19 mars 2020). Le télétravail, exercé depuis le domicile personnel du collaborateur à l’exclusion du télétravail exercé dans des locaux partagés, devient ainsi l’instrument privilégié de la lutte contre le Covid-19.Sont concernés tous les salariés du privé ainsi que les agents des
trois fonctions publiques. La généralisation de la mesure bouleverse
les réflexes acquis.
Caractère obligatoire. – Jusque-là et depuis l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, l’accord du salarié et de l’employeur devait être recherché pour recourir au télétravail.Le nécessaire consensualisme a été confirmé par l’article L.1222-9 du Code du travail.
Dans la présente crise sanitaire, une entorse sévère est faite au caractère volontaire du télétravail. En supprimant les déplacements, et principalement l’usage des transports en commun,la prolifération du virus pourrait être freinée. Dès lors, « suite au passage au stade 3 de l’épidémie,le télétravail devient la norme pour tous les postes qui le permettent »(Min. trav.Q-R spécial Covid-19, 19 mars 2020). Un minimum d’activité pourrait ainsi être maintenu en vue notamment de limiter la crise économique qui suivra la crise sanitaire. L’employeur a ainsi la possibilité d’imposer un tel mode d’organisation aux salariés. En effet, le passage en télétravail s’analyse « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure (…) comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés » (C. trav., art. L. 1222-11).Comme tout aménagement du poste de travail, il s’impose au salarié. La question se pose à l’égard des salariés protégés. La protection exorbitante du droit commun dont ils jouissent devrait en principe leur offrir un droit au refus. En pratique, peu nombreux sont les représentants qui s’y opposent. À n’en pas douter, dans le cas contraire, un abus serait caractérisé. Toutefois, le passage en situation de télétravail ne suspend pas les mandats des salariés protégés et ceux-ci peuvent continuer à les exercer et à bénéficier de leurs heures de délégation. Ainsi, les inspections sur place, notamment pour vérifier la bonne application des gestes barrières et des mesures de protection applicables à leurs collègues dont l’activité n’est pas concevable à distance, sont toujours réalisables. Mais ces inspections devraient être limitées au strict nécessaire. Le questions-réponses du ministère du Travail incite à recourir à la visioconférence « si nécessaire pour éviter les contacts physiques », notamment pour les réunions du CSE. En effet, ce nouveau moyen de communication a officiellement intégré le Code du travail qui prévoit la possibilité pour l’employeur d’imposer le recours à la visioconférence trois fois par an.

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AUTEUR(S) : Bernard Teyssié, Jean-Denis Combrexelle, Jean-Yves Frouin, François Favennec-Héry, Bernard Gauriau, Pierre-Yves Verkindt