Défense

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°11-12

BRUNO QUENTIN, avocat associé Gide Loyrette Nouel, expert du Club des juristes

Enquête préliminaire ne rime pas toujours avec procès équitable

Les droits d’une personne mise en cause dans une affaire pénale peuvent-ils dépendre du cadre procédural de la poursuite choisi discrétionnairement par le parquet ?

À cette question quelque peu provocatrice, le tribunal correctionnel de Nanterre a apporté, le 14 novembre 2012, une réponse particulièrement intéressante et remarquée, qui fait en outre écho au débat sur la suppression du juge d’instruction.
Dans le courant de 2007, la société Havas avait déposé plusieurs plaintes à l’encontre de ses anciens dirigeants. Le parquet de Nanterre avait alors décidé, plutôt que d’ouvrir une information
judiciaire, ce qui aurait conduit à la désignation d’un juge d’instruction, de garder l’affaire sous son contrôle en diligentant une enquête préliminaire. Après quatre ans de lourdes investigations, mais sans que les personnes visées par l’enquête n’aient eu de véritable accès au dossier et n’aient pu s’expliquer contradictoirement face à une accusation qui n’était d’ailleurs pas encore expressément formulée, le parquet a décidé de ne pas passer par la phase « instruction » et de les citer directement devant le tribunal correctionnel.

C’est donc devant celui-ci que les intéressés ont pu critiquer le déroulement de l’enquête et reprocher au ministère public d’avoir méconnu le principe d’égalité des armes entre les autorités d’enquête et de poursuite et les personnes mises en cause.
Si, de manière sous-jacente, la critique portait bien sur la décision du parquet d’avoir fait un choix procédural privant les mis en cause des droits dont ils auraient pu bénéficier dans le cadre
d’une information judiciaire, le tribunal s’est bien gardé de toute critique frontale à cet égard, connaissant la jurisprudence immuable de la chambre criminelle selon laquelle le choix entre ces deux voies relève discrétionnairement du seul parquet.

Au visa des principes directeurs de notre procédure pénale ( CPP, art. préliminaire ; Conv. EDH, art. 6) , le tribunal est plus subtilement parti du postulat – incontestable – qu’il ne saurait y avoir, pour une même personne dans une même situation, ni dissymétrie de traitement ni de droits de la défense à géométrie variable selon que l’on se trouve dans tel ou tel cadre procédural.

Et, à partir de là, le tribunal a annulé toute la procédure après avoir constaté in concreto que le parquet n’avait pas veillé à assurer, de manière effective, la protection des droits des personnes
soupçonnées à avoir un procès équitable dans la phase de jugement.

Deux de ces droits méritent que l’on s’y attarde quelques instants.

Le premier concerne l’accès au dossier. Si, dans le cadre d’une instruction, le mis en examen connaît les pièces dès son premier interrogatoire, il ne les découvre normalement, dans le cadre d’une enquête préliminaire, qu’après avoir été cité devant le tribunal correctionnel. Certes, au-delà de la lettre du Code de procédure pénale, quelques initiatives singulières ont parfois été prises par le parquet pour donner en cours ou en fi n d’enquête un accès partiel (comme en l’espèce) ou total ( aff. Dray ) aux pièces du dossier, mais en tout état de cause cet accès incertain et tardif ne permet pas concrètement aux mis en cause, par manque de temps et de moyens, d’organiser une contre enquête.

Le second porte sur les droits du prévenu à demander des actes d’investigations, et notamment l’audition de témoins.
Là encore, s’il est incontestable, sur le principe, que tout pré- venu peut faire citer directement un témoin devant le tribunal, le jugement du 14 novembre 2012 souligne que le moment et les conditions dans lesquels une audition de témoin intervient peuvent orienter le cours des investigations et affecter ainsi concrètement les droits de la défense.

En l’espèce, le tribunal de Nanterre va même plus loin en retenant que l’option procédurale retenue a abouti à un véritable renversement de la charge de la preuve au détriment des personnes mises en cause. L’enquête préliminaire n’est pas le cadre procédural naturel pour mener des investigations dans des affaires correctionnelles complexes, et il était utile que cela fût rappelé avec force. Sauf pour le parquet à courir le risque, en connaissance de cause, de voir sa procédure d’enquête annulée s’il est démontré que ce choix a porté atteinte aux droits de la défense

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 11-12 – 11 MARS 2013

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