[Dossier] Le fabuleux destin de l’obligation de sécurité

EXTRAIT DE LA REVUE RESPONSABILITÉ CIVILE ET ASSURANCES – N° 2 – FÉVRIER 2019

Le fabuleux destin de l’obligation de sécurité

Sophie HOCQUET-BERG, professeur à l’université de Lorraine

1 – L’obligation de sécurité est celle qui impose au débiteur de veiller sur la sécurité d’autrui et de le préserver d’éventuels dommages. Il doit ainsi veiller à ce que l’exécution du contrat ne soit pas l’occasion de causer une atteinte dommageable. L’obligation de sécurité est accessoire parce qu’elle n’a pas été déterminante du consentement des parties. Elle s’ajoute à une obligation principale, au contenu des plus divers mais qui ne consiste pas à prendre soin de la personne puisqu’alors l’obligation de sécurité ne serait d’aucun secours dans la mesure où la réparation du dommage relèverait tout simplement du régime de la défaillance contractuelle.

2 – Ses origines remontent à un arrêt célèbre rendu par la chambre civile le 21 novembre 1911 en matière de transport maritime.Dans cette affaire, la compagnie de transport soutenait que le dommage avait une origine contractuelle, afin de donner plein effet à une clause attributive de compétence insérée dans le contrat d’adhésion la liant au voyageur. Cette clause attribuait compétence au tribunal de commerce de Marseille pour les difficultés auxquelles pourrait donner lieu l’exécution du contrat. La cour d’appel d’Alger avait, sans nier la validité de la clause, jugé le tribunal marseillais incompétent pour connaître d’une action en dommages-intérêts formée par un passager blessé par la chute de marchandises mal arrimées se trouvant dans le sous pont. L’arrêt d’appel se fondait sur l’idée que la clause du billet de passage ne régissait que le contrat de transport proprement dit et les difficultés auxquelles son exécution pouvait donner lieu. Il précisait que le voyageur blessé n’agissait point en vertu du contrat de transport et des stipulations dont il avait été l’objet, mais à raison d’un quasi-délit, dont il imputait la responsabilité à la compagnie de transport. La Cour de cassation avait fait droit à la demande de la compagnie de transport maritime et cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Alger, en considérant que « l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination ».

3 – Au terme de cette décision, il suffit au voyageur de démontrer qu’il a subi un dommage à l’occasion de l’exécution du contrat de transport pour engager la responsabilité contractuelle du transporteur et l’obliger à réparer ses préjudices. Cette construction prétorienne a reçu un accueil doctrinal mitigé et, aujourd’hui encore, l’obligation de sécurité demeure la cible de nombreuses critiques.On lui reproche son artifice, en ce qu’elle aboutit à intégrer arbitrairement des devoirs généraux dans la convention que les parties n’ont pas envisagés.On lui reproche encore son excessive sévérité à l’encontre des professionnels. Il est vrai qu’elle fait peser sur les professionnels, même s’ils sont souvent assurés, la charge des dommages résultant de leur activité mais dont ils ne sont généralement pas en mesure de prévenir la réalisation.Non sans paradoxe, on dénonce aussi les effets pervers de l’obligation de sécurité qui peut se retourner contre la victime, en la privant du bénéfice des dispositions de la responsabilité délictuelle, en particulier du fait des choses.

4 – Quel que soit le bien-fondé des maux dont on l’accuse, nul ne peut nier le fabuleux destin de l’obligation de sécurité. En 1988, l’obligation jurisprudentielle de sécurité était à son apogée. Son existence était alors admise dans de nombreux contrats. Cette prodigieuse expansion a contribué à faire évoluer le droit de la responsabilité civile en faveur des victimes de dommages corporels (1). 30 ans plus tard et plus d’un siècle après qu’elle ait été créée de toute pièce par la Cour de cassation, l’obligation de sécurité se trouve concurrencée par d’autres mécanismes juridiques plus performants, de sorte que, sans nier le rôle qu’elle a pu jouer en droit de la responsabilité civile, il faut bien admettre qu’elle est entrée dans une inéluctable phase de récession (2)…

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AUTEUR(S) : Hubert Groutel