[Libres propos] Du risque pénal à méconnaître la nature juridique de « billets-contrats », à l’occasion de leur revente

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 3 – 21 JANVIER 2019

LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS

CRIMES ET DÉLITS

Du risque pénal à méconnaître la nature juridique de « billets-contrats », à l’occasion de leur revente

POINTS-CLÉS ->Le Conseil constitutionnel a, le 14 décembre 2018, rendu une décision portant sur la revente de billets de sport ou de spectacle -> Grâce à cette décision, on prend un grand bain de qualifications civiles, quant à leur nature, et pénales, quant aux mauvaises habitudes de ceux qui en font commerce

Pierre-Yves Gautier, professeur université Panthéon-Assas

Les liens entre droits pénal et civil, spécialement des obligations, ont toujours été puissants, Émile Garçon fut un de ceux qui le mirent le mieux en valeur (V. son portrait dans Mél. A. Decocq : LexisNexis, 2004, p. 267 et s.). Il faut maintenant y ajouter le droit constitutionnel : des poursuites pénales ont lieu à l’occasion de la revente interdite par la loi (C. pén., art. 313-6-2) de billets d’accès à des compétitions ou des spectacles, sur une plate-forme dédiée à ce courtage et connue du grand public ; la chambre criminelle accepte de poser une « QPC » ; de nombreuses organisations professionnelles du sport, de la musique et du spectacle, interviennent devant le Conseil ; par décision du 14 décembre 2018 (n° 2018-754 QPC), elle est rejetée, y compris sous le couvert de l’incontournable contrôle de proportionnalité. On fera le point en deux temps, à la manière de Garçon : volet civil (1), puis pénal (2), en examinant, chemin faisant, les arguments développés par la plate-forme.

  1. L’impossibilité de céder le « billet-contrat », sans le consentement de l’organisateur-cédé

Le Conseil rappelle l’existence de la liberté contractuelle, qu’il protège en tant que telle (Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations : LGDJ, 2018, 10 e éd., n°449, texte et réf.) Il estime à raison qu’elle est ici hors de cause. En vérité, même s’il ne le remarque pas, le requérant ne paraît pas s’être avisé de ce qu’elle jouait non point pour lui, mais contre sa position.

Commençons par analyser la nature juridique du « titre d’accès » à une manifestation sportive ou culturelle, tel est le vocabulaire employé par le Code pénal ; synonymes : « billet », « ticket », « place ». Même s’il s’agit d’un simple coupon en papier, ou électronique, avec code-barre ou « tag », au regard du droit civil et donc du droit pénal, qui lui emprunte (question préalable) : c’est un contrat, accord de volonté entre deux parties, peu en important le support ou le caractère succinct. Ce que la doctrine spécialisée nomme le « ticketcontrat » (F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia et F. Rizzo, Droit du sport : LGDJ, 2018, 5 e éd., n° 1388 et 1389. – V. égal. G. Simon et alii, Droit du sport : PUF, 2012, n° 509 : « billet-contrat d’entreprise ») ; plus précisément, c’est un contrat d’entreprise de la part de l’organisateur, qui peut également à titre accessoire louer un emplacement (siège) pour assister au match ou au spectacle. En contrepartie de la prestation, le client paie un prix et s’engage à respecter les règles d’accès (ainsi que l’interdiction de revente, V. plus bas). C’est un contrat d’entreprise, mais aussi d’adhésion.

Il y a plusieurs hypothèses, en sociologie du marché de la revente : d’abord, des voyous, qui achètent des brassées de tickets, en se dissimulant de diverses manières (« pseudos », prête-noms, etc.) ; ensuite, des particuliers qui revendent sur l’Internet, de manière occasionnelle ou habituelle, sur les plate-formes de courtage…

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