EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 37 – 9 SEPTEMBRE 2019
EDITO
Bikini
Patrice Spinosi

Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! Sur la plage abandonnée par Brigitte Bardot, jamais l’hypocrite indignation de Tartuffe ne nous a semblé si contemporaine. À l’évidence, le topless n’est plus à la mode ! Alors qu’au milieu des années 80, il était régulièrement pratiqué sur les plages françaises par presque une vacancière sur deux, cet été moins de 20 % des estivantes ont choisi d’enlever le haut. Il faut dire que les temps ont changé. Dans un monde où l’exposition de la nudité dans l’espace médiatique est devenue banale, exhiber sa poitrine n’incarne plus exactement le même engagement féministe militant qu’à l’époque de Nixon et du Général de Gaulle. Les risques avérés de la surexposition au soleil comme le côté un peu ringard d’une pratique marquée comme étant celle de leurs mères ont certainement écarté les jeunes millennials de cette habitude. À leur décharge, il faut reconnaître que notre droit a mis du temps à se positionner clairement sur l’exhibition de la gorge féminine. Et pour cause ! À l’époque où « la Madrague » faisait la une de Salut les copains, le seul fait de jouer seins nus au ping-pong sur une plage était qualifié « d’exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins ». C’est ce qu’avait jugé en 1965 la Cour de cassation en confirmant la condamnation de l’intrépide pongiste « peu important que les parties sexuelles de la jeune femme étaient cachées par un slip monokini suffisamment opaque et que la jeune Claudide n’avait pris aucune attitude lascive ou obscène ». Aujourd’hui le fait d’exhiber ses seins sur l’espace public est encore susceptible d’être poursuivi du fait « d’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public ». Certes, les plages bénéficient désormais d’une exemption. Mais pour le reste, notre droit n’a guère évolué et les femmes ne sont toujours pas autorisées à s’exhiber à leur guise quelles que soient les raisons qu’elles invoquent. Ainsi, il y a quelques mois, une femen a été condamnée pour avoir dévoilé dans une église sa poitrine sur laquelle elle avait inscrit « 344 e salope » et ce « indifféremment des mobiles ayant, selon elle, inspiré son action ». Pour notre droit, hors les plages, l’exhibition des seins reste donc essentiellement sexuelle. On aurait pu croire que la jurisprudence contemporaine aurait opéré un contrôle de proportionnalité entre les nécessités de l’ordre public et le droit à la liberté d’expression ou le principe d’égalité. Tel n’a pas été le cas. C’est pourtant en ce sens que la même question a été envisagée outre-Atlantique. Sur le fondement de l’interdiction de toutes discriminations, les new-yorkaises ont, obtenu, dès 1992, le droit de se promener torse nu dans les lieux publics, comme Central Park, quand les hommes y avaient été eux-mêmes autorisés. Peut être une éventuelle condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l’homme fera- t-elle changer nos moeurs ? En attendant, sur les berges de la Seine, le topless est toujours formellement interdit. Mais qui s’étonnera qu’à Paris Plages on soit plus à Paris qu’à la plage. À moins qu’il s’agisse encore d’une nouvelle tartufferie.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck