EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 43 – 21 OCTOBRE 2019
Edito
Bobards
Philippe Meyer

J’ai prié notre rédactrice en chef d’excuser mon retard à lui remettre cet éditorial : c’est que, lui ai-je expliqué, je rentrais à peine du Japon où Alain Delon m’avait invité à son mariage secret avec la troisième fille de l’empereur. Je crains de ne pas avoir été cru. Peut-être aurais-je dû jouer plus petit jeu, mais l’ambiance journalistique du weekend dernier (moment où j’écris ces lignes) poussait à prendre avec la vérité les libertés les plus éhontées. Résumons les non-faits : on avait arrêté à Glasgow un malheureux qu’une dénonciation avait fait prendre par toute la presse pour un individu recherché depuis 2011 pour le meurtre de sa femme et de ses enfants. À peine cet homme était-il entre les mains de la police que nous savions tout sur les transformations de son apparence par la chirurgie esthétique (transformations très réussies, si nous en jugeons par la photo et les renseignements publiés depuis : il n’avait plus ni le visage, ni la taille, ni la chevelure, ni les empreintes digitales, ni l’âge du fugitif, ni les yeux de la même couleur que lui).
À côté du journalisme d’information et du journalisme d’investigation, cette méprise aura vu l’apothéose d’un journalisme dont nous avions déjà observé la croissance impunie, le journalisme de supposition, prélude, sans doute, au journalisme d’invention, qui n’aura même plus besoin d’un élément de réalité pour informer ses lecteurs et auditeurs d’un événement qui n’aura pas eu lieu.
Il y a mille enseignements à tirer de cet épisode ridicule. L’un d’entre eux est que, pour la presse, il n’existe pas d’équivalent à l’expression « erreur judiciaire », deux mots accolés qui reconnaissent, sans l’excuser, que l’erreur est consubstantielle à l’exercice de la justice. Elle est le sujet de quantités d’articles, de livres, de films et d’émissions qui en analyse les tenants et les aboutissants et, quelquefois, vouent aux gémonies les magistrats qui l’ont commise. Pourtant, l’une des phrases toutes faites que l’on entend le plus souvent dans la bouche d’un présumé coupable demeure « je fais confiance à la justice de mon pays ». Nul n’est tenu d’y croire mais tous se doivent de la prononcer.
À l’inverse de la justice qui, nolens volens et quelquefois au prix de combats au cours desquels elle ne joue pas franc-jeu, doit admettre qu’elle s’est égarée par incompétence ou par malignité, le journalisme se lave lui-même de ses fautes et s’absout de ses péchés. Les téléviseurs étaient encore chauds des débats volubiles et des hypothèses fantasques sur les 8 ans de clandestinité de l’homme de Glasgow (paisible citoyen d’une commune des Yvelines dont les voisins avaient prévenu les enquêteurs venus en (sur)nombre sur place qu’ils se mettaient le doigt dans l’oeil jusqu’à l’omoplate) et voilà que le responsable de la bévue générale était découvert : c’était à la police écossaise de porter le chapeau.
De suaves éditorialistes ont assuré que les leçons qui s’imposent seront tirées de ce fiasco médiatique. Sûrement. Comme elles le furent après les faux charniers de Timisoara, ou après l’interview bidon de Fidel Castro ? Allons, je fais confiance au journalisme de mon pays …

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck