EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 13 – 30 MARS 2020
Edito
Confinés
Patrice Spinosi

Drôle d’époque ! Comme dans les mauvais films hollywoodiens, le monde s’est arrêté face à la peur de l’épidémie. D’un côté comme de l’autre du globe, les frontières se ferment, les économies se grippent, les populations se figent. La France, comme tant d’autres, a fait le choix du confinement. Était-ce le bon ? Nous n’aurons, hélas, jamais de réponse claire à cette question pourtant essentielle. Et pourtant, c’est certainement la décision politique le plus déterminante pour notre économie qu’aura prise un Président de la République française depuis bien longtemps. Notre droit est ainsi entré dans un nouvel état d’exception. Après l’état d’urgence pour combattre le terroriste, nous voici désormais plongés dans l’état d’urgence pour combattre la menace sanitaire. On saura se garder de tout amalgame. L’état d’urgence sanitaire, s’il impose à tous une limitation radicale de sa liberté d’aller et venir, ne semble pas, en tant que tel, présenter de risque sérieux de dérapage. Globalement, il apparait proportionné au besoin de maintien de l’ordre public. Les institutions ou associations qui ont pour fonction de dénoncer les atteintes à nos libertés sont globalement toutes sur la même ligne : il faut attendre. Attendre de voir comment les textes seront mis en oeuvre. Surtout attendre de savoir combien de temps cet état dérogatoire va s’appliquer. Ce qui est acceptable pour quelques semaines ne le sera évidemment pas pour quelques mois. D’abord, en prévoyant de sanctionner d’une peine d’emprisonnement les contrevenants récidivistes au non-respect du confinement, le législateur permet aux forces de l’ordre, sur le fondement du nouveau texte, de les placer en garde à vue. Il faudra veiller à ce que cette mesure coercitive exceptionnelle ne soit pas, à l’usage, dévoyée. Mais surtout ce sont les modifications que l’état d’urgence sanitaire apporte à notre procédure pénale qui doivent absolument rester temporaires. Les dérogations devenues possibles à la publicité ou à la collégialité des audiences sont pour l’essentiel passées inaperçues du grand public. Dans le même mouvement, les délais d’examen des détentions provisoires ont tous été prolongés. Tout cela peut se comprendre dans le but d’assurer l’efficacité d’un système judiciaire dont le fonctionnement est contrarié. Mais rien de tout cela ne devra rester. C’est donc bien autant à la sortie de l’état d’urgence sanitaire que pendant le confinement généralisé qu’il conviendra d’être vigilant. La tentation sera certainement grande de certains services de l’État de conserver comme autant de scories dans notre législation certaines de ces nouvelles mesures qui autoriseraient la justice à être plus expéditive. Le rôle du Parlement sera à ce moment crucial. Il lui appartiendra de s’assurer que notre législation revienne à l’identique à ce qu’elle était avant la crise sanitaire. Plus qu’à l’annonce des différentes enquêtes parlementaires qui ne manqueront pas de fleurir dès la sortie de la crise, c’est sur ce point fondamental que le pouvoir législatif doit focaliser son attention. Mais gageons déjà, hélas, que ces questions, pour déterminantes qu’elles seront, ne présentent pas un intérêt politique suffisant à nos élus pour qu’elles mobilisent toute leur attention.

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck