Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°28
Jean Hauser
« On n’a pratiquement pas entendu les juristes et pourtant l’avenir de l’Europe sans l’Angleterre risque de provoquer aussi un tsunami en droit. »
Quelques minutes après l’annonce du Brexit (Brexeat puisqu’il ne faut plus parler anglais ?), on a bien vu,dans les commentaires, que l’essentiel était les bourses, la City, les banques, les grandes sociétés et les fonctionnaires européens. Ainsi donc, paradoxalement, en vilipendant le résultat, on en légitimait les causes profondes, au moins pour les citoyens de base, si l’on en croit la sociologie inquiétante du vote. On n’a pratiquement pas entendu les juristes et pourtant l’avenir de l’Europe sans l’Angleterre risque de provoquer aussi un tsunami en droit. On nous a vendu, depuis longtemps, un modèle de développement du droit européen qui vantait, en général, la souplesse et la créativité du système anglais et la place qu’il accorde à la jurisprudence, encore que cette place ait été souvent exagérée et que, surtout, on ait fait silence sur le fait qu’elle suppose un environnement et une histoire qui ne sont pas partagés par tous. La culture juridique hors sol est aussi difficile que la même culture tout court ! Voilà que le modèle tant vanté s’en va, au moins de l’Union, et s’en va pour reconquérir de façon assez nationaliste la maîtrise de son droit. Car c’est tout de même bien de cela qu’il s’agit : le Parlement de Westminster, qui manifestait déjà sa mauvaise humeur sur ce point, retrouve sa compétence naturelle, a-ton souvent entendu dans les commentaires et radio trottoir. Quelle signification dangereuse si le DREXIT se fait ici au nom du retour à la démocratie !
Voici donc que la question de la compétence pour dire le Droit et de la méthode pour le faire se repose de façon sensiblement différente à l’heure pourtant où l’on se gave de contrôle de la proportionnalité.
On pourra évidemment donner tort aux « brexitiens » en les taxant de populistes, ignorant le bel avenir de la construction contestée mais il faut croire que les destinataires, en s’en tenant à ce seul point de vue juridique, n’étaient pas si satisfaits de la réponse donnée à leurs soucis, et pas seulement au plan économique. Comment l’auraient-ils été ? À l’entassement dément des textes nationaux et européens, dont on feint de s’apercevoir seulement maintenant, il faudrait ajouter l’envahissement qui deviendra rapidement pire des décisions judiciaires en dentelles individualistes, rebelles à toute simplicité, toute prévisibilité et à toute sécurité et d’ailleurs inaptes à révéler un vrai sentiment européen, le système de l’Union européenne, comme celui du Conseil de l’Europe, réussissant ainsi à cumuler les inconvénients du droit écrit et du droit jurisprudentiel.
Pas plus qu’avant, la question de la signifi cation démocratique et populaire du droit quotidien n’aura été posée dans sa dimension européenne. Citoyens « lambdas » de tous les pays européens, unissez-vous pour exiger un droit limité, prévisible et sécurisé, pour exiger une justice qui ne croule pas sous les économies budgétaires et pour exiger que le droit soit fait pour vous ! La réfl exion, là aussi, ne conduirait certainement pas à moins d’Europe mais à autrement l’Europe. La question concerne aussi les juristes et il suffit qu’ils se demandent pour qui le Droit est fait afin d’éviter un Drexit en ordre dispersé qui serait nuisible pour tous. Il faut commencer par fonder la légitimité démocratique de ceux qui doivent dire le droit avant de leur donner la compétence pour le faire.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION – N° 28 – 11 JUILLET 2016