[Edito] Du droit et de la conjugaison

EXTRAIT DE LA LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 5 – 4 FÉVRIER 2019

EDITO

Du droit et de la conjugaison

Pascale Robert-Diard

On connaîtra jeudi 7 mars la décision du tribunal correctionnel de Lyon sur le délit de non-dénonciation d’atteintes sexuelles reproché au cardinal Philippe Barbarin et à cinq autres prévenus. Certains procès marquent par la qualité de leurs débats, celui-ci en fait partie. Il est même de ceux qui feraient regretter à une chroniqueuse judiciaire de la presse écrite l’absence d’une chaîne de télévision dédiée à la diffusion intégrale des audiences. Un comble ! Mais en ces temps de défiance à l’égard de tous les corps intermédiaires, et en particulier des médias, il aurait pu être utile, sur un sujet aussi sensible que celui du silence reproché à l’Église dans les affaires de pédophilie, de donner à chacun l’accès à la matière brute de ce procès, à ses heures d’émotion comme à celles, plus austères mais essentielles, des questions de droit qu’il soulevait.

Parmi celles-ci figure l’interprétation de l’article 434-3 du Code pénal qui, dans sa rédaction au moment des faits reprochés aux prévenus – il a été en partie modifié en août 2018 – punissait de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité (…) de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ».

Les parties civiles ont soutenu que l’obligation de dénonciation, destinée à « protéger l’autorité de l’État, en permettant à la justice d’être saisie », s’impose à toute personne ayant eu connaissance de faits d’agressions sexuelle sur mineurs et ce, même si la victime présumée a dépassé l’âge de la majorité. Ainsi en a d’ailleurs jugé le tribunal d’Orléans qui, le 22 novembre 2018, a condamné l’évêque André Fort pour non-dénonciation. Le jugement n’ayant pas été frappé d’appel, il est devenu définitif.

Pour la défense de Philippe Barbarin, ce « totalitarisme judiciaire » qui reviendrait à « confisquer aux victimes devenues adultes, leur liberté de dénoncer, ou non, de poursuivre, ou non, les faits dont elles ont été victimes durant leur enfance », contrevient à la volonté du législateur . Elle en veut pour preuve la rédaction même de l’article 434-3 visant « un mineur de quinze ans ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger ». Une conjugaison au présent de l’indicatif justement destinée, selon la défense, à circonscrire dans le temps – celui de la minorité et ou de vulnérabilité l’obligation de dénonciation par des tiers.

Cette querelle de conjugaison m’en a rappelé une autre, bien plus anecdotique. Devant la 17 e chambre du tribunal de Paris, la fille de Jacques Lacan, Judith Miller, poursuivait en diffamation Elisabeth Roudinesco qui, dans son essai Lacan envers et contre tout, avait écrit : « Bien qu’il [Lacan] eût souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière de Guitrancourt ». En défense, Me Georges Kiejman avait convoqué la caution de… Grevisse, selon lequel le plus que parfait du subjonctif – « bien qu’il eût souhaité » – peut avoir « une valeur indicative ou conditionnelle sans que rien ne permette de distinguer ces deux modes ». Et Me Kiejman de conclure : « Le doute, fût-il grammatical, doit bénéficier à l’accusé ! ».

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE

Le magazine scientifique du droit.

Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.

AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck