[Edito] Faire silence et reconstruire

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 16 – 22 AVRIL 2019

EDITO

Faire silence et reconstruire

Patrice Spinosi

Il aura fallu que les flammes nous atteignent au coeur de Paris pour que nous nous rappelions collectivement ce qu’est la fatalité. Avec le toit de Notre-Dame, c’est notre illusion à pouvoir maîtriser le monde qui a volé en éclats. Et pour une fois, face au drame, le droit est resté impuissant. Pas de responsables civils ou politiques immédiatement pointés du doigt, pas de curée judiciaire annoncée à la recherche de coupables expiatoires, pas d’annonce en grande pompe d’une nouvelle réforme. Bien sûr, aux premières flammes, certains n’ont pu résister à s’y essayer. « Mais qui avait la charge des échafaudages ? », « Il faudrait savoir quelle autorité supervisait ces travaux ? » « D’ailleurs quelle était la réglementation en matière de sécurité ? » Et puis très vite, la consternation l’a emporté. La polémique est apparue vaine, mal adressée, inappropriée. La catastrophe, c’est étymologiquement le renversement. L’inversion de nos certitudes. Devant elle, on ne peut que se taire et résister. Il y avait quelque chose d’ancestral à assister, en foule, rageusement passifs, au combat terrible que menaient contre le feu d’autres hommes avec des moyens qui semblaient si dérisoires. À l’heure des smartphones, des objets connectés et de l’intelligence artificielle, les lances à eau qui peinaient à juguler l’incendie ne semblaient guère plus efficaces que la chaîne de seaux des villageois du Moyen Âge. M. Trump, qui incarne si bien cet esprit de notre temps, ne s’y est pas trompé. Pourquoi n’envoyait-on pas des canadairs ? Parce que le monde, le vrai, n’est pas une fiction hollywoodienne. Face à l’imprévu, l’homme reste faible, fragile et démuni. Le droit devient bancal, incomplet et limité. La technologie comme la loi sont inopérantes devant les flammes de Notre-Dame. Mais la vertu du silence n’est pas la seule rappelée par l’incendie à nos contemporains. Confrontés à l’inutilité de la réforme, nos dirigeants ont choisi de s’appuyer sur l’action collective. Agir ensemble, unanimement, pour réparer, sans rien attendre de la loi. Il y a un enseignement dans le drame qui nous a tous frappés. Nous avons accepté qu’il n’y avait pas de fautifs à notre malheur et qu’il n’y avait rien à attendre du législateur pour l’adoucir. Cette sagesse, que nous avons été si prompts à embrasser pour une catastrophe naturelle tel un incendie, pourquoi en sommes-nous si peu capables face aux catastrophes humaines ? Accidents, risques industriels, crimes, révoltes… ces malheurs ont certes une cause déterminable mais sont-ils pour autant plus maîtrisables que ceux que la nature nous impose ? Qui croit vraiment éradiquer un crime en le sanctionnant plus sévèrement ? Qui croit vraiment pouvoir museler la colère sociale avec une loi ? Nous ne devons plus attendre des hommes qu’ils contrôlent ce sur quoi ils n’ont pas de pouvoir. Nous ne devons plus les tenir pour responsables de ce qu’ils ne pouvaient prévoir et qui ne pouvait être évité. N’attendons pas plus du droit que ce qu’il peut offrir. Face aux épreuves, pour injustes qu’elles soient, comme devant Notre-Dame en flammes, apprenons à faire silence et à reconstruire.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck