EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 10 JUIN 2019
EDITO
Farce reste à la loi
Philippe Meyer

Dans le grand chamboulement des préférences électorales, dans la confusion entre la droite et la gauche, dans la valse des étiquettes politiques et la porosité des grands courants d’opinion, une question demeure susceptible de diviser la France en deux camps irréductibles : la grave question des trottinettes. Et si l’on a le front de me dire que le monde rural n’est pas concerné, je répliquerais en rapportant une conversation entendue lors du weekend de l’Ascension dans un bistro de la France périphérique. D’un côté – le plus nombreux – ceux qui voyaient dans l’usage de cet engin émergé de l’enfance la preuve de l’immaturité des classes qui les gouvernent (leur mot exact n’était pas immaturité) ; de l’autre, ceux qui regrettaient que jamais ne leur soient proposés les nouveaux moyens mutualisés de déplacement (il est vrai que ceux-là déploraient surtout l’absence d’offre de voitures électriques en libre-service).
En ville, le débat atteint des pics de passion. Il peut d’autant plus y parvenir qu’aucune donnée fiable n’est encore accessible et que la querelle se fonde sur des exemples choquants, vite dramatisés. Une pianiste renversée par une trottinette risque de perdre l’usage d’une main. Une femme est renversée avec son bébé de quelques mois. Un chirurgien pousse un cri d’alarme. Un accident par jour à Marseille. Les aveugles et les malvoyants n’osent plus sortir de chez eux… Nul ne se demande si la trottinette cause plus de blessés que le vélo, dont on a oublié qu’il a tué Jacqueline de Lubac et envoyé à l’hôpital René de Obaldia. Sommée de donner des chiffres, la mairie de Paris répond d’abord dans le langage dont elle a, sinon le secret, au moins la pratique virtuose, qu’« un phénomène est observé ». Puis elle prétend le juguler en édictant une amende de 135 € pour ceux qui roulent sur les trottoirs. Comment verbalise-t-on des engins dépourvus d’immatriculation qui roulent à 25 kms à l’heure ? La question ne sera pas posée. Au moins la municipalité déficitaire s’empresse-t-elle de gratter quelques sous en faisant payer les opérateurs pour les trottinettes abandonnées n’importe où et en leur appliquant une taxe annuelle de 50 à 65 € par unité mise en service. Le ministère des Transports n’est pas en reste et nul ne doute plus qu’il ait trouvé une solution à la question des trottinettes, puisqu’il leur a déjà donné un nom, « engins de déplacement personnel motorisés » vite devenu l’un de ces acronymes qui signent la modernité : EDPM. Un décret se prépare qui interdira l’usage des EDPM aux enfants de moins de 8 ans, obligera ceux de plus de 12 à porter un casque et instituera une vitesse limite à 25 km/h, dont l’irrespect sera sanctionné par une amende de 1 500 €…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck