[Edito] Gigantisme judiciaire

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 40 – 30 SEPTEMBRE 2019

EDITO

Gigantisme judiciaire

Pascale Robert-Diard

Trop souvent, cela se passe comme ça. Celui ou celle qui préside le procès annonce la diffusion de vidéos ou la projection d’un album photos, le moment est important, un silence d’attente gourmande ou angoissée règne dans la salle d’audience. De la tribune des juges, du box, des bancs des parties civiles et de la défense, des rangs du public, chacun fixe l’écran de télévision plus ou moins grand qui lui fait face, se tord un peu sur son banc pour être dans le bon axe. Écran noir, ou bleu, puis plus rien. On ressent la fébrilité conjuguée de la greffière et de l’huissier. Toujours rien. Un technicien est appelé en renfort, un assesseur plus doué que les autres en technologie offre parfois ses services, les minutes passent, les avocats soupirent derrière leur tablette dernier cri, le président ou la présidente s’agace, la misère technologique de la justice est à son autorité ce qu’une couronne de travers serait à un roi. Finalement ça marche, avec plus ou moins de bonheur.

Ce fut encore le cas, jeudi 19 septembre à Bobigny, lors du procès de Jean-Luc Mélenchon poursuivi avec cinq autres prévenus pour rébellion, provocation directe à la rébellion et intimidation envers des magistrats et des dépositaires de l’autorité publique lors de la diffusion des images de la perquisition houleuse du siège de la France insoumise en octobre 2018. Un son manque, des images sautent, et la défense s’en saisit pour crier à la manipulation judiciaro-médiatique.

Rien de tout cela, lundi 21 septembre, à l’ouverture du procès du Médiator devant le tribunal correctionnel de Paris. Dans le bâtiment lumineux conçu par Renzo Piano, trois salles d’audience ont été requises pour ce procès qui épuise les superlatifs : six mois d’audience, 376 avocats, près de 2700 parties civiles. Pas de tente dressée dans la Salle des pas perdus et des serpents de câbles scotchés sur les dalles comme ce fut le cas au vieux palais de justice de Paris pour le procès de l’hormone de croissance. Pas de location de palais des congrès comme on l’a vu à Marseille pour le procès des prothèses mammaires défectueuses et leurs milliers de victimes ou aux Sables d’Olonne pour celui de la tempête Xynthia.

La présidente Sylvie Daunis donne les consignes. L’image et le son sont parfaits. Sur son pupitre, d’invisibles écrans de contrôle lui permettent de veiller à la police de l’audience dans les deux autres salles. Tout a été prévu aussi pour que, de celles-ci, les avocats des parties civiles puissent intervenir dans les débats, « avec un très léger différé » s’excuse-t-elle. Une représentante de l’association d’aide aux victimes, appelée à la barre, explique que des psychologues se tiendront à disposition de ceux qui le souhaitent. « Tournez-vous » lui demande la présidente, afin que les caméras présentent son visage au public. On croirait presque entendre le pilote d’un A380-800 avant le décollage pour une longue traversée.

Syvie Daunis reprend la parole : « Ce procès s’ouvre dix ans presque jour pour jour après la suspension du Médiator. Le tribunal est là pour dire le droit, avec toute l’aridité que cela suppose. Ce qui doit prévaloir, c’est le doute. Le danger, ce n’est pas ce que l’on ignore, c’est ce que l’on tient pour certain et qui ne l’est pas ». Nous voilà rassurés, on est bien dans un procès pénal.

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