Instruire
« Quand on ne trolle pas, on balance : peut-être lirez-vous demain sur un réseau social que je chasse à courre… »
Les réseaux sociaux sont des fourmilières de juges si pressés de devenir bourreaux qu’ils ne sauraient s’attarder aux complexités d’un dossier.
L’idée d’une instruction à charge et à décharge leur est aussi étrangère que celle de signer de leur nom leurs condamnations. De même que certains impuissants tabassent leur compagne, des frustrés, des ratés et des aigris se revanchent en fabriquant des polémiques artificielles, activité qualifiée par un verbe venu de la chasse à courre où l’on trolle lorsque l’on découple les chiens sans avoir détourné l’animal de chasse, autrement dit quand on espère que la meute saura trouver un gibier.
Quand on ne trolle pas, on balance : peut-être lirez-vous demain sur un réseau social que je chasse à courre, la plus indiscutable des justifications étant fournie par la référence que je viens de faire à l’origine du verbe troller. Encore mon hypothétique mais pas invraisemblable délateur aurait-il fait l’effort de fabriquer une preuve. Cela en ferait presque un émule du roi Salomon tant la toile est peuplée de gens qui ne se soucient nullement de prétexter d’une apparence de raison pour justifier leur hostilité envers quiconque ne leur revient pas.
Même si l’on veut croire que les gestionnaires de Facebook ou de Twitter ont mis au point les alertes nécessaires pour bloquer les messages acrimonieux s’ils venaient à se transformer en consignes haineuses, il faut constater que nous nous mithridatisons contre ce ton déplaisant, faraud, infatué, que nous nous habituons à ces affirmations qui ne reposent que sur des truismes du genre « il n’y a pas de fumée sans feu ».
On frémit en pensant au rôle qu’auraient joué ces puissants moyens de calomnie et de délation à des époques où de simples mots pouvaient faire tant de mal. On y pense à la lecture de « Continental Films », livre que Christine Leteux, chercheuse méthodique et patiente, consacre à la firme allemande qui produisit « Les Inconnus dans la maison », « L’Assassin habite au 21 » ou « La Symphonie fantastique » et que publient les vaillantes et cinéphiles éditions de la Tour verte. Si Christine Leteux ne néglige ni les francs salauds, ni les petits malins, ni les profiteurs de la Continental, elle fait voler en éclats les bobards comme ceux que le MRP et le PCF, en une alliance pour le moins contre nature, distillèrent contre Henri-Georges Clouzot à la Libération. Des jugements hâtifs s’écroulent, comme ceux qui condamnent sans circonstances atténuantes les acteurs et les comédiennes qui participèrent au voyage à Berlin de mars 1942, sans savoir que les nazis rappelèrent à l’un qu’il avait signé avant-guerre un livre hostile au nazisme et que si on exhumait cette publication, il pourrait bien avoir à la payer, que l’autre n’accepta qu’en échange de l’autorisation d’aller visiter son compagnon dans un camp d’internement, bref, que sur les huit, il n’y eut qu’un seul enthousiaste de la collaboration (le journaliste accompagnateur). Contre ces trolls d’avant les trolls, il est réconfortant de lire cette oeuvre d’historienne, autant dire de justice.
Philippe Meyer
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© LEXISNEXIS SA – LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 47 – 20 NOVEMBRE 2017
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AUTEUR(S) :
N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck