[Edito] Jacqueline Sauvage, sombres augures

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°1-2

ÉDITO

Pascale Robert-Diard
« Étrange hoquet d’un pouvoir dont l’essence même est d’être absolu et souverain. »

Ainsi donc, le président de la République s’y est repris à deux fois pour gracier Jacqueline Sauvage.
Étrange hoquet d’un pouvoir dont l’essence même est d’être absolu et souverain. Que l’on s’en félicite ou qu’on la critique, cette décision politique est lourde de significations.

Elle s’inscrit dans un climat de colère et de défiance, dont le pendant est le rejet de la complexité.
On veut du blanc contre le noir, du Bien contre le Mal. La première grâce présidentielle, partielle, était grise. Elle était juridiquement impeccable, ne déjugeait pas au fond la décision de condamnation rendue par la cour d’assises d’appel – le communiqué de l’Élysée soulignait d’ailleurs que la décision était prise « dans le respect de l’autorité judiciaire » – mais accordait à Jacqueline Sauvage le bénéfice d’une remise de peine qui lui permettait de présenter immédiatement une demande de liberté conditionnelle.
François Hollande usait ainsi avec parcimonie de son pouvoir et se contentait de mettre un peu d’huile dans les rouages en donnant à Jacqueline Sauvage la défense efficace qu’elle n’avait pas eue dans le prétoire. Si l’époque avait été à la sérénité, chacun aurait pu se féliciter de cet habile compromis entre émotion et raison.

On connaît la suite : saisi d’une première demande, le tribunal d’application des peines de Melun refusait d’accorder à la condamnée sa remise en liberté au motif que celle-ci se maintenait dans une position « victimaire », incompatible avec la prise de conscience de la gravité de son acte. Si l’époque avait été à la responsabilité, chacun aurait pu trouver dans cette motivation un juste rappel du sens de la peine, a fortiori lorsqu’elle a été prononcée par deux cours d’assises composées à majorité de jurés citoyens – ayons au passage une pensée pour ces hommes et ces femmes qui n’avaient rien demandé, ont fait leur devoir, ont jugé en conscience et qui doivent se sentir bien seuls et amers aujourd’hui. Mais la tempête médiatique a repris de plus belle et tout s’est grippé. Lorsqu’elle a présenté sa deuxième demande de remise en liberté devant la cour d’appel de Paris, le cas de Jacqueline Sauvage était devenu doublement symbolique : celle que ses avocates avaient déjà érigée avec succès en figure des victimes des violences conjugales est alors devenue, malgré elle, l’emblème de la manifestation agacée de l’indépendance des juges face aux exigences de l’opinion et de ses relais politico-médiatiques. On ne peut s’empêcher de penser que dans le nouveau refus opposé par la cour d’appel à sa libération conditionnelle, le souci de ne pas déjuger les premiers magistrats et l’autodéfense d’un corps malmené qui se sent incompris, ont compté au moins autant que l’examen personnalisé du dossier Sauvage. La troisième manche a alors opposé le pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire, le premier disposant, par son droit de grâce, de l’arme absolue.

Le bilan est effrayant : triomphe de la justice pétitionnaire, devant laquelle s’incline le pouvoir, divorce accru entre la justice et les justiciables, défiance renforcée entre les juges et les politiques, ouvrant des horizons prometteurs à tous les simplificateurs.
Bonne année !

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 9 JANVIER 2017

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