EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 24 DÉCEMBRE 2018
EDITO
La justice et le danger de l’évidence
Pascale Robert-Diard
Il est exceptionnel, dans la carrière d’un magistrat, d’être désigné dans deux dossiers ayant fait l’objet d’une procédure de révision pénale. François-Louis Coste l’a vécu, qui a requis en 2002 dans l’affaire Patrick Dils, puis en 2011 dans celle de Loïc Sécher. La cour de révision avait annulé la condamnation du premier pour le meurtre de deux enfants à Montigny-les-Metz et celle du second pour le viol d’une adolescente et les avait renvoyés devant une nouvelle cour d’assises. Dans les deux cas, des éléments nouveaux étaient venus jeter un doute suffisant sur leur culpabilité. Pour Patrick Dils, ce fut la présence du tueur en série Francis Heaulme sur les lieux du double meurtre (il vient d’être condamné en appel dans cette affaire à Versailles). Pour Loïc Sécher, ce fut le revirement de son accusatrice.
Dans un essai publié chez Dalloz, Trois erreurs judiciaires, deux innocents condamnés, un crime et sa victime abandonnés, François-Louis Coste restitue cette expérience singulière. De la radiographie clinique de ces deux erreurs judiciaires – où, quand, comment, pourquoi, les mécanismes de la conviction se sont-ils fourvoyés ? – l’auteur tire une première réflexion : « En justice, écrit-il, l’apparence séductrice de la logique, de la cohérence et du bon sens fascine très rapidement et fonctionne alors comme les yeux de la Gorgone : qui croise son regard en reste pétrifié ».
Le second enseignement porte sur l’aveu, entendu dans son sens large, « comme la parole par laquelle une personne en vient à dire les mots qu’elle ne voulait pas prononcer mais que l’autre tenait à entendre. Avouer, c’est donc se reconnaître coupable, mais aussi satisfaire et apaiser l’attente, voire l’angoisse de l’inquisiteur ». L’histoire d’Emilie R. est à ce titre emblématique. En « avouant » qu’elle avait été victime de viol, Emilie avait apporté une réponse plausible aux adultes – professeurs, parents – qui s’inquiétaient de sa métamorphose de bonne élève enjouée en adolescente douloureuse. Pressée de questions, elle avait fi ni par confirmer le nom du coupable qui lui était suggéré. La suite de l’histoire donne le vertige. Aucune confrontation entre la jeune fille et celui qu’elle accusait, une seule audition de l’accusatrice qui tient en deux feuillets versés à la fi n de la procédure. « Tout s’était passé comme s’il n’y avait rien à préciser ou à vérifier. Rien n’était discutable ; il suffi sait de confirmer et d’ajouter » observe François-Louis Coste. Les larmes de la jeune fille devant la juge « avaient coulé comme de la cire sur sa parole et l’avaient marquée du sceau de la vérité ».
Comme le relève l’avocat général honoraire à la Cour de cassation Didier Boccon-Gibod dans la préface de l’ouvrage : « Le premier ennemi contre lequel doit se prémunir toute personne prétendant exercer la noble fonction de juge, est l’évidence ». Les magistrats excellent à dresser des constats, moins à proposer des antidotes. En voilà un, emprunté à l’écrivain Simon Leys. Invité en 2007 par les juges de la Cour suprême australienne à prononcer une conférence sur le mensonge et la vérité, il leur avait suggéré de se nourrir autant de code pénal que de romans. Et il avait conclu : « Si je commets un crime, je souhaiterais que mon juge soit un lecteur de Simenon ».
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck