Pascale Robert-Diard
« Par son arrêt du 19 mars 2014, la Cour de cassation a opéré un changement de jurisprudence en matière d’atteinte aux biens. »
Sept ans jour pour jour après l’annonce publique d’une perte de 4,9 milliards d’euros
et la mise en examen de Jérôme Kerviel, la Société générale et son ancien trader vont à nouveau se retrouver face à face les 20, 21 et 23 janvier devant la cour d’appel de Versailles. La saison 1 jusqu’en juin 2009, avait été dominée par l’instruction du juge Renaud Van Ruymbeke. La saison 2 s’était ouverte en juin 2010 devant le tribunal correctionnel de Paris, avec Me Olivier Metzner en défense plaidant que « la banque ne pouvait pas ne pas savoir » et s’était achevée en octobre de la même année avec la condamnation de Jérôme Kerviel à 3 ans d’emprisonnement ferme pour abus de confi ance, manipulations informatiques, faux et usage de faux et au remboursement de l’intégralité du préjudice reconnu à la banque.
La saison 3, en juin 2012, avait été marquée par l’arrivée tonitruante de Me David Koubbi aux côtés de l’ancien trader – Me Metzner ayant jeté le gant – et une nouvelle ligne de défense selon laquelle « la banque savait » et avait même tout organisé. En dépit des applaudissements du comité de soutien et de l’apparition furtive de Tristane Banon, le dénouement avait été le même qu’en saison 2, avec la confi rmation de l’intégralité de la condamnation de Jérôme Kerviel.
L’acmé de la métamorphose du héros en victime du capitalisme boursier avait été atteinte en saison 4, avec détour par la fête de l’Humanité – et participation remarquée de Jean-Luc Mélenchon – puis halte à Rome au printemps 2014 avec le pape François dans un rôle secondaire, images de marche rédemptrice, arrestation à Vintimille et retour pour quelques mois à la case prison. Elle avait été surtout marquée par l’arrêt de la Cour de cassation, confirmant toutes les dispositions pénales prononcées par la cour d’appel mais cassant les dispositions civiles, dont le fameux préjudice de 4,9 milliards d’euros. Si elle est moins glamour que la précédente, la saison 5 qui s’ouvre à Versailles est juridiquement passionnante.
Par son arrêt du 19 mars 2014, la Cour de cassation a en effet opéré un changement de jurisprudence en matière d’atteinte aux biens. Elle a considéré que le préjudice devait s’apprécier au regard de la responsabilité pénale de Jérôme Kerviel mais aussi des défaillances constatées dans les contrôles effectués par la banque – et sanctionnés par la Commission bancaire -, qui ont « permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage ».
Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation autorise donc désormais l’hypothèse d’un partage de responsabilité civile entre l’ancien trader et la Société générale. Or, plus que la sanction pénale, c’était justement le montant des dommages et intérêts auxquels Jérôme Kerviel avait été condamné qui avait ému l’opinion publique. On n’en aura pas pour autant fi ni avec cette affaire.
La saison 6 est d’ores et déjà annoncée, on en connaît le titre, L’Esprit d’équipe, un fi lm de christophe Barratier, inspiré du livre de Jérôme Kerviel, L’Engrenage, Mémoires d’un trader ( Flammarion ), publié à la fi n de la saison 1. La boucle est bouclée.
Pascale Robert-Diard « Par son arrêt du 19 mars 2014, la Cour de cassation a opéré un changement de jurisprudence en matière d’atteinte aux biens. »
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 3 – 18 JANVIER 2016