EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 14 – 8 AVRIL 2019
EDITO
La même pour tous ?
Philippe Meyer

Demandez-lui pourquoi il passe ses samedis sur un rond-point à l’entrée d’une sous-préfecture auvergnate, et il vous répondra en savourant par avance l’expression que fera naître sa réponse sur votre visage : « c’est une histoire de m**** ». Vous êtes trop bon public pour marchander votre curiosité. Vous apprendrez donc qu’il ne s’agit pas d’une métaphore mais d’une exaspération liée à la réglementation en matière de traitement des eaux usées. Elle dit que « le propriétaire d’une maison située dans une zone d’assainissement non collectif a l’obligation de mettre en oeuvre sa propre installation d’assainissement (par la mise en place, par exemple, d’une fosse septique) ». Notre homme, dont le logis est situé dans une telle zone, aurait sans doute ignoré cette réglementation si la compétence en matière d’assainissement n’avait été transférée aux communautés de communes et s’il n’avait pas reçu du conseil de la communauté dont il dépend un avis d’avoir à se mettre en conformité avec les dispositions de la loi du 3 août 2018. Il s’est d’abord contenté de mettre cet avis dans un tiroir. Il habite l’une des régions les moins peuplées du département. Son plus proche voisin réside à 500 mètres. Veuf, il vit seul. La quantité d’eaux usées, eaux vannes ou eaux grises qu’il produit est minime. Elle s’épand tranquillement dans un terrain en contrebas.
Un rappel envoyé par la communauté de communes ne l’a pas ému. Quelques semaines plus tard, un envoyé de cet établissement public est venu le mettre en demeure de s’exécuter en brandissant des foudres. Notre pas encore gilet jaune a tenté de faire valoir la spécificité de sa situation. Ses arguments n’ont pas ému son interlocuteur qui lui a fixé un délai. Impressionné malgré lui, l’administré admonesté a fait établir un devis de fosse septique par le maçon local. Montant : 10 000 €. Sa pension de retraite de la Mutualité sociale agricole s’élève, si l’on ose écrire ce verbe, à 874 €. Il a donc endossé le dossard des réfractaires puis il a rejoint ses semblables sur leur rond-point de protestation. L’administration reconnait désormais un droit à l’erreur par une loi « pour une société de confiance ». C’est une disposition que l’on ne peut manquer de saluer. Las, l’erreur concernée n’est que celle commise par les particuliers. Ne peut-on soutenir que, dans le cas d’espèce que je viens d’évoquer et qui n’est pas sans lien de parenté avec d’autres, (je pense aux « riches malgré eux » de l’île de Ré, mais aussi à tous ceux dont l’appartement prend, sans qu’ils n’y soient pour rien une valeur qui les rend justiciables de l’IFI), ne peut-on soutenir, donc, que l’administration commet une erreur d’appréciation en prétendant faire appliquer une réglementation aveugle aux particularités. Le droit à l’erreur ne pourrait-il pas être opportunément complété par une sorte d’équivalent de ce que le droit pénal connait sous le nom de « principe d’opportunité des poursuites » et qui subordonnerait l’application de la loi à l’appréciation des conditions particulières là où elle se heurte au sens commun et crée pour l’administré une situation ubuesque et insupportable ? Est modus in rebus …

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck