[Edito] La raison d’être animal

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 6 – 10 FÉVRIER 2020

Edito

La raison d’être animal

Nicolas Molfessis

L’actualité de la semaine écoulée nous a offert quelques beaux sujets, dont tout éditorialiste aurait pu se délecter : le Brexit, Mila et la stigmatisation du blasphème, ou encore la consécration, par le Conseil constitutionnel, d’un objectif de protection de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains ». Cependant, dans les entrefilets des gazettes, une polémique apparemment anecdotique est venue piquer la curiosité et l’emporter sur toute autre considération. Si l’affaire semble futile, elle nous dit quelque chose de ce qui est en train de se jouer sur la protection des animaux et leur statut juridique. Et puis, ne gâchons pas notre plaisir, elle a le goût et la saveur d’une madeleine : France Télévision prépare le retour d’Intervilles, émission culte qui fi t le miel des soirées de millions de foyers en un temps où les chaines télé se comptaient sur les doigts d’une main. Toutefois, et là est l’essentiel, ce come-back est annoncé sans les fameuses vachettes qui firent la renommée de l’émission. La raison avancée : la protection du bien-être animal.

Sans trop savoir, avouons-le, ce que toute vachette lancée dans une arène remplie d’attractions absurdes peut ressentir – sentiment de gloire lié au passage à la télévision ou profonde déprime liée à la honte de participer à un jeu dépourvu de tout enjeu intellectuel ? -, il faut relayer la polémique, empreinte de régionalisme, qui en résulte. Un groupe Facebook « Non à Intervilles sans vachette » a fédéré plusieurs milliers de personnes. Les principales communes d’arènes françaises Béziers, Nîmes, Dax ou Bayonne – ont appelé au boycott, tout comme l’Union des Villes Taurines Françaises. « Nos arènes ont fait le succès de cette émission mais n’en accueilleront pas une version édulcorée stigmatisante pour la culture taurine », a dénoncé l’association. Paris Match a titré : « Non à la vachette de la discorde ». L’affaire est donc sérieuse : bien-être animal contre tradition taurine. La vachette landaise toutefois, n’a pas la destinée du taureau d’élevage, appelé à mourir dans un combat que certains estiment inégal et barbare. Elle ne subit pas non plus le traitement du poulet d’élevage en batterie, confiné en cage à des fi ns de pure exploitation intensive. « Au niveau du bien-être elles sont au top », a d’ailleurs souligné un éleveur : « Ce sont des animaux qui, s’il n’y avait pas ces spectacles, n’auraient pas de raison d’être. On les élève en pleine nature juste pour cela. Le jeu dure quelques minutes et elles passent toute leur vie, de la naissance jusqu’à une vingtaine d’années, en liberté dans la prairie ».

Mais de raison d’être, il est précisément question et c’est ce qui permet de déceler ici un puissant mouvement de fond. Un lobbying savamment orchestré y compris dans les revues juridiques – se déploie en faveur de la reconnaissance d’un statut de « personne animale ». Le droit animalier s’impose. Les mentalités évoluent, pour bouleverser les pratiques et faire tomber les traditions. Le bien-être animal est désormais un label dans la grande distribution. Mais plus que de bien-être, l’étape qui s’amorce porte sur la raison même d’être animal, pour remettre en cause la soumission de la vie animale aux lubies humaines. L’industrie des loisirs – zoo, cirques ou aquariums – va devoir en tirer les conséquences. Bienvenus, veaux, vaches, cochons…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck