[Edito] La réserve soumise à rapport


Claude Brenner, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

Les initiatives et déclarations de M. le secrétaire d’Etat, Gabriel Attal, sur les blocages que la réserve héréditaire opposerait en France à la philanthropie avaient surpris et suscité beaucoup d’incrédulité de la part de ceux qui s’intéressent sérieusement à la matière successorale. La ministre de la Justice, garde des Sceaux, a eu l’heureuse idée de confier à un universitaire et un notaire réputés, en les personnes de Mme le professeur Cécile Pérès et Me Philippe Potentier, le soin de lui adresser, sous la forme d’un rapport, un état des lieux de la question avec indication des orientations qui pourraient être suivies si des modifications du droit positif paraissaient devoir s’imposer dans un environnement affecté en particulier par l’expatriation et la concurrence des modèles juridiques nationaux.

La remise et la diffusion du rapport ont eu lieu, après que le groupe de travail constitué a beaucoup auditionné, analysé et, visiblement, mûrement réfléchi ses propositions (54 en tout). On saluera la rigueur de la méthode suivie qui a consisté, sur une question qui n’est évidemment pas de simple technique juridique, mais de première importance politique au sens exact du terme, à prendre l’avis de connaisseurs et acteurs des différentes sciences sociales et disciplines concernées ou susceptibles d’éclairer le débat ainsi que de groupes d’opinion ayant pu s’exprimer sur le sujet. Le résultat est un travail approfondi dont le lecteur a pu La réserve soumise à rapport se faire une première idée en prenant connaissance de la présentation que les deux coresponsables du rapport en donnent dans le précédent numéro de la revue (JCP N 2020, n° 7-8, act. 212). Mais à l’issue de la lecture de ce rapport et de ses intéressantes annexes, que conclure ? Assurément que des modifications plus ou moins importantes du droit positif sont envisageables pour améliorer sa cohérence et peut-être lui permettre de mieux répondre à certaines attentes sociales et défis actuels. Mais aussi et surtout que la nécessité d’une réforme d’ampleur de la réserve héréditaire n’est nullement avérée. Lui reprocher de reconduire des inégalités sociales, comme on l’entend parfois, revient à confondre réserve et héritage et, par delà, suggérer rien moins que l’abolition de la propriété privée. Qui peut sérieusement croire que ce soit le voeu des Français ? Lui imputer la moindre attirance de nos concitoyens par rapport à certains de nos voisins pour la philanthropie est comparer ce qui n’est pas comparable, la redistribution des richesses, via notamment les impôts et charges sociales, n’ayant rien de commun dans les différents systèmes mis en balance, et aussi s’illusionner sur les vertus d’un modèle très trouble dans certains des résultats que l’on prétend glorifier (on lira sur ce point avec profit la contribution d’Yves Lequette reproduite en annexe dudit rapport). La justice est dans l’équilibre et c’est toute la philosophie du droit français classique des successions. Il serait désastreux de le perdre de vue.