EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 4 – 27 JANVIER 2020
La vingt-cinquième heure judiciaire
Pascale Robert-Diard

Le producteur de cinéma Harvey Weinstein arrivant courbé sur son déambulateur au tribunal de New York devant lequel il comparaît depuis le 6 janvier pour viols. Bernard Preynat, 74 ans, ex aumônier scout de Sainte-Foy-Lès-Lyon, le visage mangé par une épaisse barbe blanche, entrant mardi 14 janvier dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Lyon qui le jugeait pour « agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité. » L’annonce, la même semaine, du placement en garde à vue et de la mise en examen du cinéaste Christophe Ruggia pour le même délit. Et celle, un peu plus tôt, de l’ouverture d’une information judiciaire pour « viols sur mineurs » visant l’écrivain Gabriel Matzneff, âgé de 83 ans. Quatre affaires dans lesquelles la justice ressemble aux carabiniers d’Offenbach : « Nous sommes les carabiniers/La sécurité des foyers/ Mais par un malheureux hasard/Au secours des particuliers/ Nous arrivons toujours trop tard. »
Les compte-rendus des dépositions des anciens scouts au procès de Bernard Preynat donnaient une étrange impression de déjà entendu, déjà lu, déjà vu. Leurs témoignages glaçants avaient d’abord été recueillis et rendus publics par l’association La Parole libérée. Ils avaient ensuite été déposés à la barre en janvier 2019 lors de la comparution sur citation directe du cardinal Philippe Barbarin et de plusieurs dignitaires de l’Église pour « non-dénonciation de crimes ou délits » ( l’arrêt de la cour d’appel est attendu le 30 janvier). Quelques semaines plus tard, alors que le tribunal de Lyon n’avait pas encore rendu sa décision, était sorti sur les écrans le film de François Ozon, Grâce à Dieu. Ce qui, jusque-là, avait été raconté, était désormais donné à voir : les mots doux murmurés, les baisers, les caresses sous le short, les étreintes étouffantes, le sifflement rauque de la respiration de l’aumônier, jusqu’à la sensation râpeuse de son tricot écrasé sur les joues des enfants et l’odeur âcre de son haleine de fumeur de cigares. Le comportement de prédateur sexuel de l’ancien magnat du cinéma indépendant américain a été révélé par les enquêtes fouillées du New York Times et du New Yorker, à partir des témoignages inédits de plusieurs femmes. C’est auprès de Mediapart que l’actrice Haenel a dénoncé les agissements du réalisateur Christophe Ruggia. C’est encore la publication du Consentement (Fayard) de Vanessa Springora qui a décidé le parquet à ouvrir une enquête préliminaire contre Gabriel Matzneff. Dans tous ces cas, le récit médiatique devance la consignation sur procès-verbal. Le statut de victime précède celui de plaignant.
Ce temps de retard de l’institution judiciaire va de pair avec l’accélération foudroyante des autres procédures. Hollywood a déchu depuis longtemps son producteur. La société des réalisateurs de film (SRF) a exclu Christophe Ruggia de ses membres. Gallimard annonce le retrait de la vente des livres de Gabriel Matzneff, le ministre de la Culture lui signifie la suppression de son allocation publique annuelle. Nul ne souhaite attendre le jugement de la justice avant de rendre le sien. Il va désormais falloir s’habituer à cette vingt-cinquième heure judiciaire. Ou pas.

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