[Edito] L’âge de ses artères

EXTRAIT DE LA REVUE A SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 6 – 11 FÉVRIER 2019

EDITO

L’âge de ses artères

Nicolas Molfessis

Il ne faut jamais négliger l’extravagance. Lui prêter du sens, y découvrir un indice, envisager qu’elle soit précurseur, qu’au fond d’elle germe une graine d’avenir, un dépôt de futur par anticipation. Voilà pourquoi, lorsque quelques gazettes se sont fait l’écho de la demande en justice d’un Néerlandais en plein trouble existentiel, on a immédiatement pensé que l’individu était un pionnier. Ce justiciable batave possède en plus des rudiments de droit qui incitent à lui prêter crédit. Il sait que le principe de l’indisponibilité de l’état civil a fait long feu. Le domicile, la nationalité, le nom, le prénom, le sexe… au rayon de l’état civil tout est interchangeable et l’identité individuelle, sous l’empire de nos volontés toutes puissantes, est en perpétuelle mutation.

Pas besoin d’y insister : la psychologisation de notre droit civil, manifeste du côté de la responsabilité, pousse à une subjectivisation croissante de l’état des personnes. On est ce que l’on ressent et l’on entend que le droit en tire les conséquences : transsexualisme et modification du sexe, motifs affectifs et changement de nom, et devant nous gestation pour autrui et statut du parent d’intention, voire reconnaissance d’un sexe neutre – que nos voisins allemands viennent d’accueillir –, en portent la marque.

Et l’âge là-dedans ? On pourrait croire qu’il est un bastion infranchissable, une donnée pleinement objective qu’une simple soustraction, entre la date du jour et celle de la naissance, suffi t à déterminer. Pas besoin pourtant de fouiller bien loin en chacun de nous pour admettre qu’il est aussi, peut-être plus que tout autre, en proie à nos ressentis, moteur chez certains, frein – si ce n’est angoisse – pour d’autres. Fitness, diététique, botox, changement de vie ou dépression, chacun s’en accommode comme il peut. Dans un droit dominé par l’individu, où les émotions sont source de droit, pourrait-il longtemps échapper à nos prétentions juridiques ?

Notre Néerlandais, donc, se sentait jeune, même s’il avait déjà fêté 69 fois son anniversaire. Affligé de devoir le révéler sur Tinder et persuadé que son apparence physique comme son état de santé avaient résisté à l’alternance des saisons, il prétendait avoir 49 ans. Prêt à fêter, une deuxième fois, son demi siècle, en pleine force de l’âge. Son médecin lui-même en attestait, analyses à l’appui. Aussi demandait-il que l’administration fasse reculer son âge en changeant sa date de naissance : « les transgenres, expliquait-il, peuvent maintenant changer de genre sur leur état civil, aussi, dans le même esprit, on pourrait faire quelque chose pour changer d’âge »…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck