[Edito] Le mégalo de la Générale : coupable mais pas responsable ?

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°26

Denis Mazeaud
« Ce Rastignac de la finance virtuelle (…) était donc à l’origine d’un remarquable revirement de jurisprudence. »

Nouvel épisode judiciaire des aventures de ce jeune breton d’extraction modeste qui, dévoré par l’ambition, avait réussi à intégrer l’équipe d’élite des produits financiers de la Société Générale. Ce Rastignac de la finance virtuelle avait, tout au long de l’année 2007, dépassé les limites de transactions qui lui avaient été fixées et en déjouant les systèmes de contrôle et de surveillance mis en place par la banque qui l’employait, risqué 50 milliards d’actions… Après avoir frôlé la faillite, son employeur avait essuyé une perte d’environ 5 milliards d’euros.

Les juges du fond avaient durement sanctionné celui qui rêvait de devenir le prince des traders : 5 ans d’emprisonnement, dont trois fermes, sur le plan pénal ; 4,91 milliards de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par la Société Générale. Après un détour par Rome pour recevoir l’onction papale et une longue marche destinée, dans une campagne de « com » savamment orchestrée, à le présenter comme un croisé de la cause anti-fric, notre repenti était retourné devant la justice des hommes. La Cour de cassation, le 19 mars 2014, avait rejeté son pourvoi quant à sa responsabilité pénale, mais avait cassé la décision des juges du fond qui avaient refusé un partage de responsabilité civile, en dépit de la faute commise par la victime.

Celui qui se présente désormais comme un philanthrope, qui souhaitait simplement faire gagner toujours plus d’argent à son employeur, était donc à l’origine d’un remarquable revirement de jurisprudence. En effet, jusqu’alors, la Cour de cassation décidait que la faute de la victime d’une atteinte aux biens n’emportait aucun partage de responsabilité, faute de quoi l’auteur de l’infraction conserverait une partie de profit qu’il en a retiré, ce qui heurtait le bon sens.

Lors du nouveau procès qui s’est ouvert à Nancy, l’avocat général ne s’est pas gêné, dans son réquisitoire, pour exploiter cette nouvelle règle du partage de responsabilité. Il a, en effet, incité la cour à envoyer un message fort et exemplaire aux établissements bancaires pour éviter qu’à l’avenir de tels cataclysmes financiers se produisent et a requis en faveur de l’irresponsabilité civile de l’enfant terrible de l’argent fou. Selon lui, les défaillances de la Société Générale dans son système d’encadrement, de contrôle et de surveillance doivent être qualifiées de faute grave et la priver, par conséquent, de toute indemnisation.

On attendra la décision des juges lorrains pour connaître le fin mot de cette histoire, mais quelques observations s’imposent. On rappellera, d’une part, qu’en matière de responsabilité civile, pour que l’auteur du dommage soit intégralement exonéré, la faute de la victime doit présenter les caractères de la force majeure : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité.
Dans l’affaire en question, ça se plaide, comme dirait ma cousine. On ajoutera que, selon la jurisprudence, l’auteur d’une infraction intentionnelle, ce qui est le cas en l’espèce, ne peut pas se prévaloir d’une faute simple de la victime pour obtenir une exonération partielle mais que la faute intentionnelle de la victime la prive de toute indemnisation en cas de faute simple de l’auteur du dommage.

Beaucoup de grains à moudre donc et on attend avec gourmandise l’épilogue de cette affaire.

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 27 JUIN 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 27 JUIN 2016

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