[Edito] Le « plaider-liberté » Pascale Robert-Diard

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°24

 

Pascale Robert-Diard
« Les voilà qui entrent en scène, un à un, portés par la voix de l’avocat. »

C’était une audience morne. L’air était saturé de prudence et de civilité. Éreinté par le jugement de première instance, le principal prévenu, François-Marie Banier, zébulon réputé incontrôlable, se tenait à carreau : « Oui, Madame la présidente, absolument Madame la présidente ». La partie civile, Françoise Meyers-Bettencourt, n’avait pas daigné se déplacer pour ce procès en appel et avait confié à ses (nombreux) avocats le soin de la représenter. L’avocat général avait requis la confirmation des lourdes peines prononcées par le tribunal à l’encontre du photographe et ami gourmand de Liliane Bettencourt : trois ans d’emprisonnement dont six mois avec sursis, 350 000 euros d’amende, la confiscation de son immeuble et de 80 millions d’euros.

Le public était maigre, des étudiants par devoir, des retraités par oisiveté. L’affaire Bettencourt, enfin ce qu’il en restait, n’intéressait plus guère.

Et puis le dernier jour du procès est arrivé. La parole était à la défense de François-Marie Banier et de son compagnon Martin d’Orgeval. Une belle équipe qui s’était répartie les rôles : un civiliste pointu, Laurent Merlet, un pénaliste chevronné, Pierre Cornut-Gentille, pour la rigueur. Et Richard Malka, pour le « plaider-liberté ». Ce fut comme une porte qui claque, un courant d’air frais qui s’engouffre et fait voler les cotes du dossier : « Les Bettencourt, ce sont les Atrides ! Ils se dévorent entre eux. La réalité de cette famille, ce n’est pas la paix, c’est la guerre. On ne peut pas appréhender cette affaire sans comprendre sa dimension de tragédie grecque ».

Les voilà qui entrent en scène, un à un, portés par la voix de l’avocat : la fille figée dans la dureté de n’être pas assez aimée de sa mère et jalouse de celui qui la fait rire – « Chez les Bettencourt, l’amitié est un crime et un délit. C’est ce que pense Françoise Meyers-Bettencourt et c’est ce qu’elle vous demande de juger » – le gendre « sinistre » – et détesté – « Car oui, Liliane Bettencourt n’aime pas son gendre. Ce n’est pas de sa faute à lui, c’est la vie ». Il tonne, il griffe, il mord, l’avocat. Il s’accorde tous les droits et surtout celui de transgresser. Il se sert de ses mots à elle, Liliane Bettencourt, pour accabler ceux qui prétendent la défendre : « Ma fille veut m’effacer, elle veut ma liberté. Sa froideur me ronge. Son mari, c’est un zéro. Et c’est pire qu’un zéro, il est méchant ». Il retourne à ses accusateurs le délit d’abus de faiblesse qu’ils reprochent à ses clients ; « La terreur de Liliane Bettencourt, c’était de finir sous la tutelle de sa fille. Et c’est comme cela que ça s’est fini. Ils ont décidé qu’elle n’avait pas le droit d’aimer qui elle voulait aimer, et de donner à qui elle voulait donner. Mais c’est Liliane Bettencourt que vous devez protéger. Pas le patrimoine de Françoise Meyers-Bettencourt ! » Il évoque encore les mots de celle qui, face au juge d’instruction venu l’entendre, avait balayé d’un soupir la procédure que l’on intentait contre François-Marie Banier ;« Je lui ai donné trop ? Ben tant pis. C’est pas grave, je m’en fous ».

Vieille dame vulnérable qu’il faut protéger d’elle-même ou femme libre, riant de son indignité et désormais « guerrière emmurée » ? Lequel de ces deux portraits Liliane Bettencourt eût-elle préféré ?

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 24 – 13 JUIN 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 24 – 13 JUIN 2016

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