[Edito] Le procès Lagarde et le verdict des urnes

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°52

ÉDITO

Pascale Robert-Diard
« Rien de tout cela, ni le procès, ni la décision (…) ne font sens pour l’opinion publique. »

Formellement, le procès de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République (CJR) a été impeccable.
Des débats vifs, menés par la présidente Martine Ract-Madoux qui savait d’expérience – elle a présidé le procès en appel d’Alain Juppé à Versailles – que, face à des prévenus rompus à l’exercice du pouvoir, l’autorité du juge se joue dans les premières heures ou se perd. Une attention soutenue des douze juges parlementaires alors que l’on avait gardé le souvenir d’un jury beaucoup plus dissipé lors de la comparution de l’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua devant la CJR. Des questions nombreuses de ces députés et sénateurs, même si, en dépit des rappels à l’ordre de la présidente, celles-ci exprimaient plus souvent des convictions que des interrogations.

Formellement toujours, le procès a permis l’audition de plusieurs témoins, dont certains, tels l’ancien secrétaire général Claude Guéant ou François Pérol, l’ancien conseiller économique de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, maîtrisent à la perfection l’art de parler beaucoup pour ne rien dire d’important. Cela ressemble à s’y méprendre à un fond sonore d’aéroport, on croit reconnaître un morceau, on se dit qu’on tient quelque chose, mais non, l’inflexion s’est fondue dans une autre mélopée, puis dans une autre encore, ce n’est pas désagréable, c’est propre, ça glisse sans accrocher et soudain c’est fini, au revoir et merci.

Dans la foulée de ces dernières dépositions, la solide charpente juridique du réquisitoire-plaidoyer à deux voix du procureur général Jean-Claude Marin et de l’avocat général Philippe Legaucher en faveur de la relaxe de l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances évoquait, par contraste, le Clavier bien tempéré.
Il posait de façon pertinente la question de la « frêle limite entre le politique et le judiciaire » dans l’appréciation d’une décision ministérielle, comme l’avait fait en son temps Robert Badinter à propos de l’arrêt rendu le 9 mars 1999 dans l’affaire du sang contaminé.

Mais, il y a un mais. Rien de tout cela, ni le procès, ni la décision rigoureusement motivée de condamnation de Christine Lagarde pour « négligence » dans sa décision de ne pas intenter de recours contre la sentence arbitrale outrageusement favorable à Bernard Tapie, ni le choix assumé d’assortir cette condamnation d’une dispense de peine – comme ce fut le cas de l’ancien ministre de la santé Edmond Hervé – ne font sens pour l’opinion publique. Bien au contraire. Les causes sont multiples, qui tiennent à la fois à l’inintelligibilité du délit retenu contre elle – cette « négligence » tant raillée dans les commentaires et sur les réseaux sociaux –, à l’absence de légitimité d’une Cour de justice dont la suppression est sans cesse annoncée, et surtout à l’existence d’une procédure parallèle toujours en cours pour « escroquerie en bande organisée » et « détournement de fonds publics » contre les six acteurs principaux du dossier Tapie. Ceux qui ne pouvaient ignorer ce désastre annoncé sont les membres de la commission d’instruction qui ont décidé de renvoyer Christine Lagarde devant la CJR. Et le seul verdict qui risque de prendre du sens dans quelques mois est celui de l’incompréhension, de la défiance amère et de la colère qui se sont exprimés, une fois de plus, contre la justice, à l’occasion de cette affaire.

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 26 DÉCEMBRE 2016

La semaine juridique édition générale 26 DÉCEMBRE 2016, HEBDOMADAIRE, N° 52
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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