EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 20 – 20 MAI 2019
EDITO
Le spectacle de la justice
Patrice Spinosi

Dans nos sociétés contemporaines, la justice ne peut rester longtemps à l’écart de la vie médiatique. Les avocats sont les premiers à l’avoir compris. Nombre d’entre eux ont rapidement perçu l’intérêt que pouvaient avoir leurs clients à les voir bâtir leur défense dans l’opinion publique autant que face à leurs juges. Intuitivement conservative, l’institution judiciaire a d’abord été réprobatrice. Le tapage des médias ne seyait pas vraiment ni à la sérénité ni à la solennité traditionnellement attachées à la fonction de juger. Mais avec le développement des nouvelles technologies et leur généralisation dans le quotidien de chacun, le principe de réalité l’a emporté. Ces dernières années ont ainsi vu fleurir des services de presse attachés aux juridictions pour éclairer les journalistes sur le sens de leurs décisions. Le besoin était particulièrement fort pour les cours suprêmes dont les arrêts sont souvent difficiles à décrypter pour tout un chacun tant du fait de la complexité naturelle du droit que du formalisme spécifique de l’écriture judiciaire. La Cour de cassation, le Conseil d’État et bien sûr aujourd’hui le Conseil constitutionnel, autant d’institutions qui aujourd’hui ne prononcent plus seulement des arrêts mais aussi, lorsqu’ils sont médiatiques, les commentent à l’occasion de communiqués. C’est évidemment pour le mieux. On connaît l’adage : Justice must not only be done but also be seen to be done . De nos jours, l’instantanéité de la diffusion de l’information commande son traitement quasi immédiat. Les décisions qui tranchent une question de droit inédite sont souvent subtiles. Elles ménagent un équilibre fragile entre plusieurs principes contradictoires et naissent d’un compromis longuement discuté dans le délibéré. Si une juridiction suprême ne veut pas voir son intention dénaturée, elle a donc tout intérêt à proposer une synthèse explicative de sa décision pour éviter qu’on lui prête un sens qu’elle n’aurait pas. Se pose alors la question du rédacteur du communiqué de presse. Qui est celui qui en quelques paragraphes va résumer plusieurs dizaines de pages, dont chaque mot a été pesé, pour en offrir une version « people » ? A priori pas le service de presse lui-même. Généralement une version est préparée par la juridiction sous la houlette des magistrats ayant participé au délibéré. L’épineuse question de la légitimité n’est pas totalement résolue pour autant. En effet, il existe alors deux versions de la décision. L’une officielle, exhaustive et savante, l’autre vulgarisée, réduite et lisible. En pratique, seule la seconde sera relayée dans l’espace publique. Or, il est déjà arrivé, par le passé, que le communiqué et la motivation différent légèrement. Presque rien : une précision peut manquer ou pire être rajoutée. La clarification est à ce prix. Mais c’est justement dans ces petits riens que se construit le droit. La justice ne peut pas devenir une simple affaire d’apparence. Chacun doit en avoir conscience. Le risque est réel que le commentaire l’emporte sur l’original. Debord l’avait bien montré. On ne ressort jamais totalement indemne de la société du spectacle.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck