LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 29 JUIN 2020
L’état d’urgence permanent
Patrice Spinosi

Décidément avec le législateur le pire est toujours certain. Depuis l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, l’ensemble des défenseurs des libertés ont mis en garde le Gouvernement contre les risques de la sortie de cet état d’exception. On connaît en effet la propension du Parlement à accepter de conserver dans le droit commun des mesures inaugurées dans le cadre de législations de circonstance. Le dernier état d’urgence terroriste avait été emblématique de ce tour d’escamotage juridique. Faut-il vraiment s’en étonner, l’état d’urgence sanitaire prend exactement le même tournant. Le projet de loi voté par l’Assemblée nationale le 17 juin pérennise trois des dix mesures jugées emblématiques de l’état d’urgence sanitaire. Restent ainsi en vigueur, au moins jusqu’au 30 octobre, le blanc-seing donné au Premier Ministre pour limiter ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, ordonner la fermeture provisoire de lieux recevant du public, limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature. Autant de mesures qui autorisent le Gouvernement à restreindre drastiquement les libertés des citoyens au
prétexte toujours bienveillant de leur protection sanitaire, laquelle se confond souvent opportunément avec celle de l’ordre public. Ce qui est assez extraordinaire, c’est l’absence de toute vergogne de l’exécutif à profiter de la situation d’affaiblissement démocratique liée à la crise de la Covid pour porter ces atteintes à peine voilées au principe de la séparation des pouvoirs. Mais il y a pire ! Alors que la France est encore engourdie par les effets du virus et ses suites, le Gouvernement profite de la reprise de l’activité parlementaire pour faire passer plusieurs projets répressifs dont l’urgence est plus que douteuse. Fallait-il vraiment adopter définitivement la très controversée loi Avia sur la haine sur internet moins d’une semaine après la sortie du confinement ? Preuve que nos institutions ne sont pas complétement en berne, dans un sursaut de courage qu’il faut bien lui reconnaître, le Conseil constitutionnel a enterré la réforme. On aura néanmoins senti le vent du boulet. On peut douter d’une même alarme, devant la proposition de loi, votée nuitamment le 22 juin, qui autorise la mise en oeuvre de mesures de sûretés, à l’issue de leur peine, à l’encontre de personnes condamnées dans une affaire liée au terrorisme pour quelque cause que ce soit. Gageons que l’infortune juridique de tels délinquants laissera largement indifférente l’opinion publique qui, dans sa majeure partie, ne verrait aucune gêne à leur incarcération définitive. Pourtant, au moins dans son principe, le droit pénal n’a pas vocation à être régi ni par l’émotion ni par la peur des foules. Mais cela c’était le monde d’avant. Un monde où il était encore inadmissible d’étendre une peine au delà de la limite qui avait été fixée par le juge. Au bénéfice du déconfinement, les « simples » délinquants terroristes viennent de rejoindre les assassins et les violeurs d’enfants dans cette zone grise et sale de notre droit.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck