Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°7-8
ÉDITO
Pascale Robert-Diard
« Il y avait tout Thierry Lévy dans cette cérémonie du vendredi 3 février. La liberté, la fidélité et l’orgueil. »
Sûre qu’il nous pardonnerait le sourire. Sans doute même a-t-il souri lui-même en imaginant la scène. Le ban et l’arrière ban du barreau,la bâtonnière de Paris en robe, les plus grandes voix de pénalistes, tout ce monde réuni autour de son cercueil de bois blond sous les voûtes de l’église Notre-Dame de l’Assomption à Paris. Muets. Réduits au silence par sa volonté. « Il n’y aura pas de prise de parole. Monsieur Thierry Lévy ne l’a pas souhaité » a précisé le prêtre. Il y avait tout Thierry Lévy dans cette cérémonie du vendredi 3 février. La liberté, la fidélité et l’orgueil.
La liberté de celui qui a toujours refusé d’être réduit à la seule identité de son patronyme – « identité, c’est un mot pour la police » écrivait-il dans Lévy oblige – et qui a choisi de faire célébrer une messe dans cette église où il accompagnait, enfant, sa mère Rosie Nathan, convertie avant-guerre au catholicisme. À cette femme, inscrite au barreau de Paris, qui avait fait baptiser ses trois enfants, il devait, disait-il, le sentiment « de [s’être] toujours senti chez [lui] dans les églises ». La fidélité à ses engagements avait été rappelée dans le Carnet du Monde qui annonçait son décès.
« Ni fleurs, ni couronnes, des dons peuvent être adressés à l’Observatoire international des prisons ». Thierry Lévy avait présidé l’OIP pendant trois ans de 2000 à 2003 et n’a jamais cessé de militer en faveur des détenus. L’orgueil enfin, d’un avocat que son intransigeance a souvent tenu à l’écart des autres et qui n’a souhaité laisser à personne le soin de lui rendre hommage à sa mort, tout comme il avait refusé les distinctions de son vivant. À ceux deses amis qui l’admiraient, il a choisi d’adresser un extrait d’une lettre de Sénèque, lu par un de ses fils, avocat lui aussi. « La plus honteuse manière de guérir du chagrin, c’est de guérir par lassitude. Mieux vaut renoncer à ton chagrin que d’attendre qu’il renonce à toi ; sèche donc au plus tôt des larmes qui, lors même que tu le voudrais, ne peuvent longtemps couler ». Deux semaines avant que le cancer ne l’emporte, Thierry Lévy avait accordé son dernier entretien à mon confrère du Monde , Franck Johannès, venu l’interroger sur la défense des terroristes. « L’essence du métier d’avocat , disait-il, c’est d’aller contre l’opinion dominante. C’est ce qui rend ce métier très attrayant. Être seul contre la majorité, c’est une position avantageuse, excitante, confortable moralement ». Mais celui qui aurait voulu défendre Salah Abdelslam, l’un des terroristes du Bataclan, ajoutait : « Le vrai problème pour défendre l’ennemi public, et qui est rarement soulevé par les avocats eux-mêmes, c’est : En quoi vais-je être utile ? Est-ce que la cause n’est pas déjà entendue, à tel point que si je n’y prends pas garde, non seulement je risque d’être inutile, mais en plus je risque de faciliter le travail des ennemis de la personne qui m’a demandée de la défendre. Parce que, on le sait bien, le juge, qui n’a jamais la conscience tout-à-fait tranquille, a besoin pour faciliter sa décision d’être assisté en quelque sorte par un défenseur, qu’il soit un défenseur de paille ou un défenseur réel.
Mais à côté de l’effi cacité, il y a la dignité. Essayer de rendre à quelqu’un qu’on défend sa dignité, ce n’est pas une tâche inutile ». On n’a pas fini d’écouter la voix unique de Thierry Lévy.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°7-8 – 13 FEVRIER 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck