[Edito] Ministre de la guerre

Ministre de la guerre

Nicolas Molfessis

Personne n’a pu l’ignorer, tant la publicité qui en a été donnée a été retentissante. L’Union syndicale des magistrats (USM) a immédiatement réagi à la nomination de Éric Dupond-Moretti en des termes dépourvus d’ambiguïté voire de nuance : ce choix constitue « une déclaration de guerre à la magistrature ». Aux mots ont succédé les actes, dont celui du procureur de la République de Basse-Terre, qui a demandé à être démis de ses fonctions : « Je ne souhaite pas travailler sous l’autorité de M. Dupond-Moretti ».

En retour, le nouveau ministre s’est voulu apaisant. Dès la passation des pouvoirs, il a répondu, sans doute matois, qu’il ne faisait « de guerre à personne », allant jusqu’à louer « les très grands magistrats devant lesquels [il] a eu l’honneur de plaider » et même déplorer « les conditions de travail » de nombre d’entre eux.

Pourtant, dans ce procès d’intention fait au nouveau venu, le syndicat accusateur dispose d’un solide dossier. De multiples déclarations mais aussi nombre des écrits du nouveau ministre expriment sa franche hostilité à l’égard de la magistrature, de ses modes de fonctionnement comme de ses principales caractéristiques. Les attaques stigmatisent le corps lui-même : « Il est curieux de constater que dans chaque palais de justice, on identifie parfaitement les juges compétents et par voie de conséquence les incompétents, les travailleurs et les fainéants, les gens honnêtes intellectuellement et les malhonnêtes, mais cette gestion hallucinante du corps, cet entre-soi maladif fait qu’un bon juge est un juge qui rend beaucoup de décisions. Parce que la statistique taraude la hiérarchie ». Elles visent aussi la formation des magistrats, ce qui justifierait la suppression de l’École nationale de la magistrature, « incapable de former les futurs magistrats tant sur le plan professionnel que sur le plan humain ». Elles portent encore sur le principe de l’unité du corps judiciaire, qui autorise un passage du siège au parquet estimé contraire à l’indépendance de la justice, ou sur le statut des juges – « les seuls dans notre société à ne pas être responsables ». Sans parler aussi des critiques virulentes visant certaines enquêtes – notamment les méthodes de « barbouzes » dont elles témoigneraient. D’où cette formule cinglante, qui résume une doctrine : « J’ai davantage confiance dans la cuisine de mon pays que dans sa justice ! » ( Le dictionnaire de ma vie, p. 31 ).

Ouvrons alors les yeux : comment ne pas envisager que ce ne soit pas en dépit de cette franche hostilité à l’encontre du corps judiciaire, mais précisément en raison même de celle-ci, que l’avocat Dupond-Moretti a été nommé garde des Sceaux ? Quelle autre ligne de son CV pourrait en effet expliquer cette désignation ? Ni le fait d’avoir été un plaideur d’exception, ayant mérité le surnom flatteur d’Acquittator, ni ses talents d’acteur, au cinéma comme au théâtre, ne valent titre d’accès à la place Vendôme. Et ce n’est pas non plus son engagement en politique, inexistant, qui pourrait lui avoir profité.

Fillon, Sarkozy, Bayrou, Ferrand, Rugy, Delevoye, Nyssen, Darmanin, Kohler, etc. : on ne saurait ignorer l’ampleur des mises en cause judicaires des hommes politiques. Ni négliger la perception que peuvent en avoir certains d’entre eux, qui voient les juges comme des ennemis désireux de les combattre. Voilà pourquoi on peut penser que la riposte est désormais programmée, avec à sa tête un général tout désigné pour la mener.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck