Monsieur mon successeur, je vous fais une lettre

La Semaine Juridique Edition Générale n°21 – 22 Mai 2017

ÉDITO

Denis Mazeaud

Malgré moult sarclages, binages et semailles, des chantiers majeurs restent encore

Sans doute pour éviter qu’il soit en panne d’inspiration et… pour lui refiler la patate chaude, le garde des Sceaux encore en exercice à l’heure où je tiens la plume a rédigé une lettre à son successeur dont je ne connais pas l’identité à cette même heure. Dans cette lettre, après avoir utilisé pompeusement son dictionnaire des citations (Diderot : « La justice est la seule vertu qui existe ») et usé de la métaphore jardinière (« un ministre doit se comporter comme un jardinier et planter des graines pour que ses successeurs profitent des arbres et récoltent les fruits qui en seront issus »), M. Urvoas lui confesse que, malgré moult sarclages, binages et semailles, « des chantiers majeurs restent encore à mener, pour lesquels le temps m’a fait défaut » et l’invite à passer « rapidement à l’action », « à agir sans désemparer ». Pour l’aider dans cette délicate mission, que seul le temps lui a interdit de mener personnellement à bien…, le garde des Sceaux, désormais en vacances, dresse une feuille de route à celui qui les gardera à sa place pour quelques années ou quelques mois ; l’avenir, bien incertain aujourd’hui, nous le dira. Précisément, il identifie dix chantiers prioritaires qui devaient constituer autant de travaux d’Hercule puisqu’il n’a pas pu, faute de temps encore une fois, les mener lui-même à bien… On épargnera aux lecteurs de cette petite prose l’inventaire complet et fastidieux des chantiers en question, et on en privilégiera deux qui révèlent que l’auteur de cette bafouille politicienne ne manque pas d’aplomb. D’une part, le chantier V intitulé « Garantir l’encellulement et la dignité des conditions de détention ». On ne saurait discuter le bien-fondé d’un tel objectif, si du-moins on convient qu’en dépit des délits et des crimes qu’ils ont commis, les détenus sont aussi des êtres humains qui ont donc droit aux droits fondamentaux. On se permettra juste de rappeler que, dans un de ses engagements de campagne, François Hollande avait promis que, lui Président, « les prisons seront conformes à nos principes de dignité » ? Cinq ans et deux gardes des sceaux après, la promesse n’a donc pas été tenue comme le révèle fatalement le conseil donné par le futur ex-garde des Sceaux à son successeur, qui doit donc s’entendre en fait comme « c’est à vous de tenir les fausses promesses que nous avions faites naguère dans une perspective électorale ». D’autre part le chantier X intitulé « Une révision constitutionnelle au service de la nation », dont l’objet est, entre autres, de renforcer les pouvoirs du CSM, en lui conférant notamment le rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, en lieu et place du chef de l’État, et de supprimer la Cour de justice de la République. Une fois de plus, que ce soit dans ses promesses de campagne ou lors de son quinquennat, ces mesures ont été promises par le chef de l’État, de façon toute aussi vaine que la précédente… Nul n’est dupe, donc ! Ce n’est pas du temps qu’il a manqué à l’ancien Gouvernement et en particulier au garde des Sceaux, auteur de cette lettre de mission à l’intention de son successeur, c’est de respect des engagement pris, de volonté et de courage politiques, un point c’est tout.

Retrouvez la suite de l’article dans La Semaine Juridique Édition Générale N°21, 23 Mai 2017 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°21  – 22 MAI 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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