[Edito] Motivez ! Motivez !

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°18

Denis Mazeaud
« Reste à se demander si cette motivation, pour plus explicite qu’elle soit, est véritablement éclairante. »

Dans le grand chantier lancé par son premier Président en vue de réformer la Cour de cassation, on sait que la motivation des arrêts rendus par celle-ci constitue un des axes prioritaires. Comme le disait Loïc Cadiet, dans un récent colloque consacré à la dite réforme, « (…) la jurisprudence ne vaut que par l’autorité de ses raisons, que sont censés exprimer les motifs de ses arrêts. La nécessité d’une motivation suffisamment claire et précise pour que l’arrêt soit compris en dehors du club des initiés et du cercle des parties s’impose alors (…) » (« Introduction » in Regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation : Supplément au JCP G n° 1-2, 11 janv. 2016, p. 14 ).

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 22 mars 2016 ( n° 14-14.218 ), semble constituer un premier pas dans le sens d’une motivation plus explicite des arrêts de la Cour de cassation qu’appelaient déjà de leurs vœux MM. Touffait et Tunc ( Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment de celles de la Cour de cassation : RTD civ. 1974, p. 487 ). L’affaire était somme toute banale. La question portait sur le délai de prescription de l’action en nullité pour vileté du prix dans une cession de parts sociales et, en amont, sur la nature de la nullité.

L’arrêt susvisé s’illustre incontestablement par une motivation plus dense que de coutume. La chambre commerciale rappelle, dans un premier temps, la divergence de jurisprudence qui l’opposait, jusqu’alors, aux chambres civiles. Celles-ci considéraient que la nullité d’une vente consentie à vil prix était une nullité relative, fondée sur l’absence de cause, tandis qu’elle retenait, pour sa part, qu’une telle vente était nulle de nullité absolue, en l’absence d’un élément essentiel du contrat en question. Puis, dans un second temps, elle affirme « qu’il y a lieu d’adopter la même position » que les chambres civiles, car ce n’est « pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable ». Et elle conclut en précisant « qu’en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu’à la protection des intérêts privés des cédants » et qu’elle relevait donc du régime des actionsen nullité relative.

Reste à se demander si cette motivation, pour plus explicite qu’elle soit, est véritablement éclairante. Certes, elle contient l’exposé de la jurisprudence passée, mais on ne sait pas vraiment pourquoi la chambre commerciale opère un revirement, si ce n’est pour unifi er la jurisprudence de la Cour sur la question. On aurait ainsi aimé savoir pourquoi la nullité absolue est évincée alors qu’il n’est pas illégitime de penser que « l’exigence d’un prix réel et sérieux n’est pas protectrice des intérêts de l’une ou de l’autre des parties : elle garantit la structure de la vente et, par là même, la différence de nature et donc de régime entre les actes onéreux et les actes à titre gratuit » ( R. Libchaber : Defrénois 2007, p. 1730 ). On aurait aussi été fort intéressé d’en savoir un peu plus sur les notions d’intérêt privé et d’intérêt général.
Mais ne soyons pas trop gourmands, le temps judiciaire fera son œuvre, n’en doutons pas !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 2 MAI 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 2 MAI 2016

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