LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 23 DÉCEMBRE 2019
Edito
Noël
Patrice Spinosi

«Douce nuit, sainte nuit… ». En France, Noël divise. Depuis la Révolution,
notre république laïque s’accorde mal de cette grande fête populaire où l’on célèbre la naissance de l’enfant Jésus. L’ambivalence de Noël n’est pas nouvelle. Elle existe depuis sa consécration. Dans le courant du IV e siècle, la date du 24 décembre est calée sur celle du solstice d’hiver qui marque la victoire de la lumière par le rallongement des jours. Elle fait alors l’objet de nombreux cultes païens dans l’ensemble de l’empire romain. L’occasion est trop belle pour l’Église, dans sa logique d’expansion syncrétique, d’y voir celle de la naissance du Christ. Malgré cette tradition multi séculaire, les XIX et XX e siècles, empreints de positivisme, ont largement réussi à laïciser les célébrations de la fin de l’année. Le père Noël a définitivement supplanté Saint Nicolas dans le coeur des enfants de l’école de Jules Ferry et le sapin gagne chaque année du terrain sur les crèches dans les maisons françaises. La messe semblait dite. Pourtant récemment la montée des communautarismes a poussé certains politiques à instrumentaliser l’ancien héritage religieux de la France. Ce conflit a trouvé un point d’orgue judiciaire avec la décision relative aux crèches de Noël dans les bâtiments publics rendue le 9 novembre 2017 par le Conseil d’État. Dans un esprit de compromis entre des intérêts difficilement conciliables, il a été jugé que la présence de crèches dans des espaces publics était contraire au principe de laïcité sauf si cette installation présentait un caractère culturel, artistique ou festif. On pouvait penser l’autorité de la décision de justice suffisante pour s’imposer à tous. Mais c’était sans compter sur l’acharnement de certains édiles. Ainsi, bien qu’elle ait été deux fois jugée illégale, le 2 décembre dernier, la mairie de Béziers a de nouveau inauguré en grande pompe une crèche dans l’enceinte de l’hôtel de ville. « Entouré de représentants de cinq religions » le maire n’a pas hésité à prétendre qu’il ne s’agissait « pas d’une polémique, pas d’une provocation, mais d’un trait d’union ». Au-delà du constat ordinaire des dérives populistes qui émaillent notre actualité, cette résistance affichée au droit, de la part de ceux qui ont pour fonction de l’incarner, appelle un double constat Le premier est conjoncturel. Aujourd’hui encore plus qu’hier des hommes politiques s’autorisent à dénigrer voire transgresser des décisions de justice qu’ils dénoncent comme des atteintes à leur légitimité populaire. Un tel comportement qui oppose les institutions de la République ne peut que saper les fondements de la démocratie. Le second est structurel. Il concerne la difficulté de faire en pratique respecter les décisions de justice lorsque les pouvoirs publics cherchent sciemment à les contourner. Les référés introduits l’année dernière contre des décisions municipales d’installer des crèches jugées interdites ont été pour l’essentiel rejetés par les tribunaux administratifs faute d’urgence suffisante à statuer. Ceux qui font la justice ne devraient-ils pas s’assurer qu’elle dispose des moyens d’être concrètement respectée quand bien même ceux qui doivent l’appliquer s’y refuseraient ? C’est l’essence même d’un État de droit.

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