Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°14
Denis Mazeaud
« L’arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016 n’emporte pas l’adhésion. »
La cour d’appel d’Orléans a eu récemment à se prononcer sur l’appel interjeté contre une décision du TGI de Tours qui avait admis qu’à l’état civil, la mention du sexe d’une personne, qui prétendait n’appartenir à aucun des sexes que le droit reconnaît, porte l’indication : neutre ( CA Orléans, 22 mars 2016 : JurisData n° 2016-004932 ; note F. Vialla à paraître ).
Pour infirmer ce jugement, que d’aucuns ont considéré comme un nouveau triomphe de l’individualisme et de l’adage qui en est son corollaire (Le sexe que je veux !), la cour d’appel d’Orléans se fonde sur l’article 8 de la CEDH. Elle énonce que, pour régler la question qui lui était posée, « il doit être recherché un juste équilibre entre la protection de l’état des personnes qui est d’ordre public et le respect de la vie privée des personnes présentant une variation du développement sexuel » et que « ce juste équilibre conduit à permettre (aux personnes) d’obtenir, soit que leur état civil ne mentionne aucune catégorie sexuelle, soit que soit modifié le sexe qui leur a été assigné, dès lors qu’il n’est pas en correspondance avec leur apparence physique et leur comportement social ». En l’espèce, parce que le demandeur, qui sollicitait la substitution de la mention « sexe neutre » à la mention « sexe masculin », ne remplissait pas ces conditions, sa demande est rejetée. Plus solennellement encore, la cour affirme qu’en l’état du droit positif, « il n’est pas envisagé la possibilité de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil, une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d’ambiguïté sexuelle » ! Fermez le ban ! Au fond, la cour aurait pu réduire sa motivation à ce seul extrait pour marquer son attachement indéfectible à la partition sexuelle classique et pour renvoyer à ses chères études le plaideur audacieux qui prétendait que cette partition duale n’était pas gravée dans le marbre de la loi et ne faisait pas obstacle à la reconnaissance d’un troisième sexe sur les actes de l’état civil, qui ne soit ni l’un, ni l’autre.
On confessera que l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans n’emporte pas l’adhésion. Dans ses conclusions, Mme le procureur général avait, pour obtenir l’infirmation du jugement, affirmé que « l’identité sexuelle mentionnée à l’état civil (constitue) un élément nécessaire à notre organisation sociale et juridique ».
On peut se demander si cette affirmation, empreinte d’une mâle assurance, ne pêche pas par approximation. Pour une grande partie des commentateurs du jugement du TGI de Tours (V. notamment, J. Hauser : JCP G 2015, act. 1157; R. Libchaber : D. 2016, p. 20 ), en effet, la réponse était quasi-identique : l’indication du sexe sur les actes de l’état civil ne sert presque plus à rien, en tous cas à plus grand-chose, grâce ou à cause de la loi sur le mariage pour tous.
Alors faut-il, en s’inspirant de quelques pays voisins (Allemagne) ou du bout du monde (Australie), admettre la possibilité d’un troisième sexe et l’indication d’un sexe neutre sur les actes d’état civil ? Faut-il renoncer à un ordre social devenu largement virtuel, en cette matière, et privilégier la liberté individuelle et favoriser, ainsi, une forme de modernité aventureuse
sur une tradition anachronique ? That is the question…
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 14 – 4 AVRIL 2016