[Edito] Plafond

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°8

 Jean Hauser 
« … se demander quel intérêt [le débat] présente pour le citoyen de
base qui demeure l’alpha et l’oméga d’une réforme de la justice. »

Il est, dans l’actualité juridique, des télescopages intéressants. Alors même que le landerneau doctrinal était secoué par le débat sur le contrôle de proportionnalité, les plus hauts magistrats, rendaient publique, de façon inhabituelle, une protestation solennelle sur la misère de la
justice française. Sans doute nous dirat-on, les deux choses ne sont pas liées. Voire ! Dans la réforme de la Cour de cassation il s’agirait de lui donner un pouvoir supplémentaire qui confine aux arrêts de règlement et, en même temps, de tout faire pour qu’elle ne croule pas sous les pourvois alors que
l’expérience de la Cour EDH prouve la contradiction entre ces deux objectifs. Il ne saurait être question dans ces quelques lignes d’évoquer la problématique de ce mouvement mais de poser quelques questions naïves qui sont plus près du tribunal d’instance de Trifouilly les Oies que de la place Dauphine.

Tout d’abord la Cour de cassation n’est « que » l’aboutissement suprême d’une organisation judiciaire dont elle n’est pas séparable. Est-il tout à fait rationnel de proposer des modifications révolutionnaires (même si on cherche à le dissimuler) sans se soucier de ce que seront les obscurs et les sans grades dont la fonction se trouvera forcément profondément transformée ? Certes, dans ce brainstorming, les cours d’appel ne sont que menu fretin mais, tout de même, on pourrait s’enquérir de ce qu’elles en pensent. Et puis, après tout, quand on a construit la tour Eiffel on n’a pas commencé par le haut ! Ensuite, malgré l’enjeu du débat pour la doctrine qui, bien entendu, ne sera guère unanime (c’est déjà plus que largement fait), peut-être serait-il intéressant de se demander quel intérêt il présente pour le citoyen de base qui demeure l’alpha et l’oméga d’une réforme de la justice. N’est-ce pas l’encombrement effrayant des tribunaux d’instance, l’écrasement des juges
des tutelles du fait du vieillissement, l’engorgement des cabinets des juges aux affaires familiales et des juges des enfants, la ruine de la justice prudhomale, le trop plein du contentieux pénal, la « déjuridicisation » du petit contentieux qui lui importent, plus que le point de savoir si la Cour de
cassation, jalouse des « hautes » Cours, doit juger de la proportionnalité des intérêts en écartant éventuellement la loi votée démocratiquement et ce dans l’indifférence stupéfiante des parlementaires eux-mêmes qui n’ont pas compris qu’ils jouaient là leur survie ?
Le droit sera-t-il plus prévisible pour le justiciable ?
Imaginons quelques questions simples et préalables : pourquoi trop de lois inutiles, obscures, irréfléchies, pourquoi tant de pourvois infondés, pourquoi la jurisprudence de la Cour est-elle si souvent ignorée du fond (ce que la proportionnalité n’arrangera pas) ?
Enfin, et ce n’est pas le moindre, pourquoi proposer d’étendre la compétence de la Cour de cassation pour lui confier un contentieux dont on ne sait plus quelle place il aurait entre celui du Conseil constitutionnel et celui des juridictions européennes ? Ces dernières sont-elles une telle réussite qu’il faille les copier, ce qui paraît susciter quelques doutes récents ? L’image des juristes, ou prétendus tels, n’est plus bonne en France, elle est trop souvent celle d’un cénacle fermé qui se soucie plus d’idées que de concret, le citoyen devenant une variable d’essai. Pendant la République de 1848 on a dit de M. de Lamartine qu’il siégeait au plafond. Il a manifestement eu des descendants, la
poésie en moins !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 8 – 22 FÉVRIER 2016 

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 8 - 22 FÉVRIER 2016

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