EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 12 – 25 MARS 2019
EDITO
Protection divine
Patrice Spinosi

Enfer et damnation ! L’église catholique n’en finit pas de s’empêtrer dans les scandales sexuels. Après la révélation de pratiques de pédophile en son sein ou celle du viol de religieuses, voici maintenant l’affaire du nonce apostolique harceleur. Plus apparenté au phénomène #MeToo qu’à l’affaire d’Outreau, ce nouveau front judiciaire met en lumière les frasques du représentant du Vatican en France, qui, selon ses accusateurs, aurait tendance à « toucher de façon appuyée les fesses » de ses interlocuteurs.
La nouvelle n’aurait pas mérité l’intérêt des gazettes juridiques si elle ne permettait d’évoquer cet anachronisme de notre droit qu’est l’immunité
papale. En effet, suite aux plaintes contre le nonce, le parquet a demandé au Vatican de lever son immunité diplomatique. Même si, au jour où nous écrivons ces lignes, la réponse du « Saint Siège » n’est pas encore connue, il y a déjà là matière à sidération. Sidération, face au respect de notre droit pour cette survivance du Moyen-Âge qui accorde aux représentants du Pape les mêmes garanties qu’aux diplomates étrangers. Hâtivement on pourrait croire que le Pape doit ce privilège exceptionnel à son statut de chef de l’État du Vatican. Mais il n’est est rien. La doctrine internationaliste s’accorde pour reconnaître que c’est son rôle spirituel et non temporel qui justifie l’immunité diplomatique du souverain pontife. C’est bien pourquoi, entre 1870 et 1929, même privés des états pontificaux, les papes ont continué à en bénéficier. À l’heure où l’autorité spirituelle et morale de l’Église catholique est au plus bas, on peine pourtant à comprendre que ses plus hauts représentants prétendent encore échapper à la justice. Ce d’autant plus que la jurisprudence internationale tend à limiter l’application de ces immunités aux seuls faits qui, par leur nature et leur finalité, sont en lien avec l’exercice de la souveraineté de l’État. S’agissant d’une poursuite pour harcèlement sexuel, on voit mal comment apparenter les actes reprochés au nonce à l’autorité souveraine du Pape qu’elle soit matérielle ou a fortiori spirituelle. La question n’a rien d’anecdotique. Il y a quelques mois, un autre prélat, Luis Francisco Ladaria, a refusé de répondre à une convocation judiciaire dans le procès du cardinal Barbarin en invoquant la même dérogation. L’appel formé par le Primat des Gaules contre sa condamnation, comme le refus du Pape François d’accepter sa démission en invoquant la présomption d’innocence, démontre clairement la volonté des représentants de l’Église d’utiliser à leur bénéfice toutes les ressources du droit des hommes. Face à des accusations qui la placent en contradiction directe avec les valeurs qu’elle prétend incarner, l’Église aurait pu avoir une position sacrificielle en reconnaissant ses torts dans les affaires où elle était mise en cause et en se bornant à solliciter le pardon des victimes. Cela n’a pas été son choix : elle préfère se défendre au sein d’un tribunal. À la lecture des Évangiles, telle ne semble pas avoir été la position de Jésus face à Pilate, lui qui a préféré mourir sur la croix pour expier un crime qu’il n’avait pas commis. Mais peut-être que simple fils de Dieu, il n’avait pas droit à l’immunité.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck