Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°51
ÉDITO
Jean Hauser
« À quand « renoncementer » et, a contrario, « renonciater » ? »
La récente décision du Président de ne pas se représenter a été l’occasion de revoir comment substantiver le verbe « renoncer ».
Les médias ont décidé qu’il fallait parler du « renoncement » du Président et non de sa « renonciation ».
Il est vrai que le Littré reçoit, pour les deux termes, « renoncer à quelque chose ». Mais, pour le premier, on trouve aussi d’autres sens plus spécifiques : « acte de l’âme qui se désintéresse de ses propres intérêts », voire « action de renoncer aux choses du monde ». Ainsi donc il y a une importante nuance de fond selon le sens. Le renoncement n’implique souvent aucune transmission et prospère dans le désert moral et physique, à l’image, en l’espèce, du wagnérien hollandais volant sur le vaisseau fantôme de la République ! On n’effectue pas un renoncement en faveur de… mais comme on renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres. Le renoncement des oblats ne se fait en faveur de personne (Dieu ?) mais se présente comme un nettoyage du passé corrompu par les passions humaines.
La renonciation est plus complexe. Les juristes sont partagés. La renonciation dite « abdicative » n’a pas de bénéficiaire mais laisse le droit visé sans titulaire. Pour autant, est-elle un renoncement ? Il y manque tout de même le côté moral du dépouillement volontaire avec une forme de sacrifice. Mais, comme nous aimons aller au fond des choses – ce n’est pas là notre moindre défaut – nous faisons parfois place à une autre renonciation qui serait, quant à elle, « translative ». On ne renoncerait pas « urbi et orbi » mais en désignant un bénéficiaire. En matière successorale la distinction est connue et, si on peut renoncer – point -, généralement quand la succession est vide, on peut aussi renoncer en faveur de ses cohéritiers. Seulement il y a de sérieux doutes sur la qualification de cette seconde opération : renonce-t-on vraiment si l’on transmet ? Un de nos grands auteurs (P. Raynaud) a démontré qu’on pourrait ainsi analyser la vente d’un bien comme deux renonciations !
La difficulté vient de ce que les deux vocables traduisent un même verbe : renoncer. À quand « renoncementer » et, a contrario, « renonciater » ? Alors, abdiquer ? Mais on n’abdique que d’un droit acquis et non d’une candidature.
Quant à la décision du Président (et d’autres, victimes de la faucheuse politique…) la nuance est considérable. A-t-il effectué un vrai renoncement qui trancherait dans ce monde et le consolerait en le plaçant dans le gotha, avec seulement une chaise vide et un strapontin au Conseil constitutionnel ? Ou bien, a-t-il cherché à faire une simple renonciation, peut-être translative, ce qui requalifierait sa démarche et intéresserait ses « hoirs » éventuels ? Si telle devait être l’interprétation, encore faudrait-il trouver le destinataire, petit jeu où les nombreux « experts » et « amis », sortis de nulle part, ont excellé. On pencherait pour le renoncement s’il est le prélude à une traversée du désert (médiatique ?) ou à un retrait sur son Aventin (Tulle ?).
Au fond on ne part jamais que contraint et forcé.
En quoi le renoncement devrait être réservé aux actes les plus élevés, à ceux qui conduisent au désert définitif, à ceux qu’accompagne la renonciation à tous les avantages de la situation sur laquelle il porte. Seulement ce serait sans doute la définition de la sainteté, et c’est très rare en politique, et ailleurs !
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 51 – 19 DÉCEMBRE 2016
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck