[EDITO] Roboétique

EXTRAIT DE LA REVUE PRATIQUE DE LA PROSPECTIVE ET DE L’INNOVATION- N° 1 – AVRIL 2018 ©LEXISNEXIS SA

Édito

Roboétique v2

Louis DEGOS, directeur de la revue

« Nous sommes tous, humains et machines, “ maillons de la chaîne algorithmique ” »

LExtraitRPPI-Roboetiquees algorithmes vont-ils aider l’humain ou au contraire le contrôler ? Question fondamentale à laquelle le secrétaire d’État au Numérique Mounir Mahjoubi a bien voulu répondre dans les colonnes de ce numéro (V. ci-après RPPI 2018, entretien 1). Mais plus largement c’est le problème de l’éthique des algorithmes, ou de la roboétique que nous avons déjà évoqué dans cette revue, auquel il faut faire face en distinguant trois niveaux d’éthique ou trois approches de réponses possibles. Le premier niveau est le plus global, c’est l’éthique de la justice (ou l’éthique de la Cité au sens aristotélicien du terme). La révolution numérique digitalise, dématérialise, standardise, enregistre dans des blockchains les relations humaines et donc le droit et les procédures, ces derniers étant en plus analysées par le biais de calculs algorithmiques et d’intelligence artificielle. L’écran de l’ordinateur ou du smartphone est partout, il rapproche l’utilisateur du service qu’il recherche mais il ajoute aussi une distance, en faisant écran. Autrement dit c’est le phénomène de déshumanisation qui est ici dénoncé et critiqué à l’heure où certains appellent de leur voeux la création du juge-robot. Mais le numérique n’est certainement pas le seul coupable de cette déshumanisation. Il existe en effet d’autres causes bien plus profondes marquées par l’approche consumériste des services juridiques et de justice. Depuis le début du 21e siècle, les économistes, et notamment les travaux de l’OCDE, ont conclu que les activités juridiques ou se rapportant à un service de droit, étaient un service comme un autre soumis à la libre concurrence. En l’absence de réelle réaction de la part des professionnels concernés, cette banalisation des services juridiques ne s’est pas arrêtée là puisque l’automatisation fait perdre le caractère « juridique » en ce que ces services ne peuvent plus être considérés comme une activité savante ou experte. Le justiciable est donc devenu un consommateur de services juridiques concurrentiels que le numérique est censé rendre de plus en plus facile d’accès et « bon marché ». Est-ce vrai ? Pas si sûr. Dans le cadre d’une économie collaborative, et par le biais du numérique, le « consommacteur » participe au service qu’il achète. Il remplit des formulaires trouvés sur Internet, il s’inspire de « modèles » pour créer lui-même des actes juridiques… Et parce qu’il a lui-même participé activement au service qu’il achète, sa confiance est accrue, il est même persuadé que le service est meilleur, plus personnalisé, plus adapté et donc qu’il serait même moins risqué ! C’est tout le « business model » des legaltech, phénomènes logiques de cette consumérisation, qui impacte aujourd’hui l’éthique de la justice. Mais les relations entre ces nouveaux entrants et les professionnels traditionnels du droit, titulaires du marché, soulèvent à leur tour d’autres questions éthiques, c’est le deuxième niveau de réponse : l’éthique des acteurs du numérique. Les nouveaux acteurs numériques de la justice sont bien conscients de la nécessité et de l’importance de la déontologie dans ce qu’il nomment « l’écosystème de la justice et du droit ». Une charte éthique a d’ailleurs été élaborée en 2016 par l’Association Open Law et l’ADIJ (Association pour le développement de l’informatique juridique), elle a été révisée en décembre 2017, avec pour objectif de « se mettre d’accord sur des valeurs communes » entre legaltech mais aussi avec les professionnels du droit. Les legaltech marquent ainsi leur volonté de ne pas être le maillon faible de l’éthique et de la déontologie dans la prestation de services juridiques. Mais, force est de constater que si cette charte couvre de nombreuses questions et est constituée de déclarations de (bonnes) intentions, elle ne prévoit aucune sanction.

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CouvRevueProspectiveInnovation

Revue pratique de la prospective et de l’innovation
Justice – Droit – Société. Regards croisés sur la profession d’avocat.
AUTEUR(S) : Louis Degos

Sous la direction de Louis Degos, président de la commission Prospective du Conseil national des barreaux (CNB) cette revue semestrielle initiée par le CNB et éditée par LexisNexis, décrypte des sujets de prospective incontournables pour les juristes : intelligence artificielle, algorithmes, données personnelles, open data des décisions de justice, legaltech, etc. « Nous sommes tous, humains et machines, “maillons de la chaîne algorithmique », résume Louis Degos.

À lire : des interviews : de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique et de Loïc Cadiet, président de la mission open data, professeur à l’École de droit de la Sorbonne – université Paris 1, un Focus sur le rapport de Cédric Villani « Donner un sens à l’intelligence artificielle »

Et des dossiers : la transformation numérique et l’apport de l’économie de la connaissance, la protection des données à l’épreuve de l’open data des décisions de justice, le rapport de la CNIL sur l’intelligence artificielle, le Future of Work, le management interculturel à distance, etc

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