Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°6
ÉDITO
Jean Hauser
« On atteint là les conséquences ubuesques de la collusion entre l’idéologie consensualiste et libertaire et les économies médiocres. »
Dans un monologue de l’Avare, celui-ci, soucieux de marier sa fille, pourvu que ce soit sans frais, répète : « sans dot », « sans dot » etc… Le législateur actuel de la famille, pour les mêmes motifs, en est à : « sans juge », « sans juge ». La dernière loi fourre-tout est, en réalité, « La justicedu XXI e siècle… sans juge ». Sans doute serait ce, en même temps, un progrès de la liberté, si tant est que l’absence de juge garantisse la liberté, mais l’argument n’est avancé qu’ in fine comme cache-misère. Sans doute encore, oui au changement de prénom sans contrôle mais c’est l’offi cier d’état civil qui devient juge. Sans doute enfi n, a-t-on maintenu, in extremis , un juge pour le changement de sexe mais avec une main guidée en attendant sa suppression, cequi pourrait d’ailleurs se justifier. Quant au divorce consensuel, nous dit-on, le juge ne censurait que rarement la convention. Bel argument mathématique : faut-il supprimer les gendarmes au bord des routes
s’ils ne mettent pas de contraventions, encore que les pieds se lèvent à leur seule vue ? Concernant les enfants, l’affaire est plus grave. Après avoir prétendu les protéger et signé de belles conventions, on les a privés en 2015, sous prétexte d’égalitarisme, de l’essentiel de la protection judiciaire dans la gestion de leurs
biens et, en 2016, dans le divorce de leurs parents. On atteint là les conséquences ubuesques de la collusion entre l’idéologie consensualiste et libertaire et les économies médiocres. Si leurs parents veulent divorcer par consentement mutuel simplifié, il faudra l’accord (largement par prétérition) de leurs bambins,
ceux-ci étant interrogés officiellement sur leur désir d’être auditionnés ou non.
Que va-t-on faire des enfants en bas-âge ? impasse ; comment va-t-on s’assurer de leur discernement ? impasse ; que faire s’il y a manifestement opposition d’intérêts ? impasse. Le pire est que, faute de juge, ce sont les avocats, bien mal engagés dans ce processus de démission, qui sont censés porter ce fardeau, avec une jolie source de responsabilité et ce sans le paratonnerre du juge. Il n’y a plus de juge mais des officiers d’état civil et des avocats qui deviennent juges et demain, qui ? Aussi bien devrait-on maintenant logiquement exiger que tout enfant ait un avocat dans le divorce de ses parents (3 au lieu d’un !), ce qui ne serait pas pour déplaire à certains. Pour les lecteurs incrédules, on conseillera l’arrêté du 28 décembre 2016 sur le formulaire : « je suis informé que j’ai le
droit d’être entendu » « avec un avocat » (sic) etc… et il signe ! On sent qu’il faudra prévoir des cours de droit à l’école maternelle et des legos chez les avocats et notaires. Le Conseil constitutionnel n’y a rien vu mais il est vrai qu’il ne voit que ce qu’il veut, ou que ce qu’il sait, en droit civil.
Allons plus loin. Confions l’adoption aux services sociaux ainsi que l’assistance éducative et puis les tutelles, opération bien commencée avec l’habilitation familiale. Simplification dit le communiqué et meilleure utilisation des juges (en droit des affaires et en droit pénal ?). Que non ! Abandon des plus faibles à la loi du marché dans une société abstraite et mercantilisée. Tout le reste n’est qu’affirmation de façade. Si la justice est débordée, sans moyens, et fonctionne mal, supprimons le juge. Gribouille, pour ne pas se faire mouiller par la pluie se plongeait dans l’eau.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°6 – 6 FEVRIER 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck