[Edito] Sauvez l’amphi

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 8 JUIN 2020

Sauvez l’amphi

Denis Mazeaud

En ces temps de pandémie, nul besoin d’insister sur les graves dommages subis par les étudiants dans leur université, notamment par ceux d’entre eux qui font leur droit à la Faculté, comme on disait encore parfois dans le monde d’avant.

Sans doute parce qu’elle a longuement réfléchi sur l’avenir de cette jeunesse qui fréquente encore le service public de l’enseignement supérieur, la ministre éponyme qui souhaite ardemment, sans doute comme tant de ses collègues des anciens gouvernements, laisser son nom sur une réforme fondamentale, a donc fait savoir, par voie de presse notamment pour que nul ne l’ignore, que dans le monde d’après l’enseignement supérieur se traduirait par un accroissement de l’enseignement par visio-conférence au détriment de l’enseignement sous forme présentielle.

Je l’avoue, pour l’enseignant-chercheur engagé que je suis et qui exerce ses fonctions depuis quelques décennies, il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, ce n’en est pas une pour les étudiants, si tant est qu’ils constituent le centre de gravité de l’enseignement supérieur dont le but est de leur conférer, grâce à la culture acquise tout au long de leurs années universitaires, liberté, autonomie et indépendance. Or, outre le fait que le cours par visioconférence emportera fatalement une discrimination sociale, j’ai la conviction que, dans leur intérêt bien compris, la présence physique de l’enseignant est indispensable, sauf à réduire le cours à une image et un son. Leur formation intellectuelle, par ailleurs, a tout à gagner avec une présence physique de l’enseignant. Elle leur permet, en effet, de communiquer avec celui-ci, soit avant que le cours ne commence, soit pendant l’inter/ cours, soit une fois que le cours est terminé. Démagogie me dira-t-on ! En me souvenant des échanges avec mes étudiants à l’occasion de mes cours, je n’ai pas le sentiment que la disponibilité soit empreinte de démagogie. J’ai, de plus, la conviction que l’enseignement dans lequel la présence de l’enseignant est partagée avec celle de ses étudiants, permet à ceux-ci d’écouter correctement le cours, de le comprendre et de l’apprécier.

En second lieu, le cours présentiel s’impose dans l’intérêt des enseignants. La présence physique d’un public d’étudiants leur permet de se rendre compte, grâce aux réactions et au comportement au sein de l’amphi, si son enseignement est accessible, intéressant, convaincant et stimulant, utile et plaisant. On ne se fait guère d’illusions sur la portée de cette petite plaidoirie et pourtant on est convaincu que la visio-conférence est à l’enseignement, ce que « Au théâtre ce soir » est au théâtre. Pour ma part, je préfère être déconfiné à la Comédie française que confiné devant un poste de télévision.

L’avenir nous dira, si dans le monde d’après une option est offerte aux étudiants entre la visio-conférence et l’enseignement présentiel. Pour ma part, parce que je crois plus aux vertus d’un cours incarné qu’à celles d’un cours désincarné, l’option choisie va de soi.

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