EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 39 – 23 SEPTEMBRE 2019
EDITO
Toute honte bue
Philippe Meyer

J’écris cet éditorial alors que la condamnation à une peine de prison ferme prononcée contre Patrick Balkany libère encore des flots d’encre et que le mandat de dépôt à l’audience qui a accompagné cette condamnation fait toujours couler des flots de salive. Il est légitime de s’interroger sur la distance réelle que la Justice maintient (ou non) avec la prostituée qui la tire par la manche, l’intruse, « qui, au pied du Golgotha, tendait les clous aux bourreaux, qui applaudissait aux massacres de septembre et, un siècle plus tard, crevait du bout de son ombrelle les yeux des communards blessés ». On aura reconnu l’opinion publique dans la définition qu’en donnait Me Vincent de Moro Giafferi au procès de la bande à Bonnot (les décorateurs du nouveau TGI de Paris, qui ne sont pas avares de citations sur les murs, ne seraient pas mal inspirés d’y ajouter celle là).
Ces derniers temps, il ne manque pas de décisions qui laissent perplexe sur la distance que je viens d’évoquer. La cour d’appel de Paris a infirmé en août l’ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire avec port d’un bracelet électronique d’Antonin Bernanos mis en examen pour « violences en réunion », c’est-à-dire pour sa participation à un affrontement musclé avec un groupe d’adversaires politiques peu après qu’il a purgé la peine que lui a valu sa participation à l’attaque d’une voiture de police. Qu’il s’affirme innocent de l’un et l’autre délits n’entre pas dans mon propos qui n’est qu’interrogation sur la nécessité de maintenir en prison un prévenu qui aurait été soumis au contrôle judiciaire avec bracelet électronique, c’est-à-dire à des mesures imaginées pour éviter l’incarcération. Et pour me laver du soupçon de complaisance à l’égard de l’extrême gauche (in medio stat virtus), j’étends cette interrogation aux six mois de prison fermes assortis de la privation des droits civiques pour cinq ans prononcés en août contre trois militants « identitaires » pour « exercice d’une activité dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique », soit une opération d’intimidation pour empêcher des immigrés de passer la frontière dans les Hautes-Alpes dont le parquet a dû reconnaître qu’elle était sans violences, ni menaces ni propos racistes.
Après l’incarcération du maire de Levallois Perret, une internaute à twitté : « ça me rappelle que je déteste la prison plus encore que je déteste Balkany ». Cette formulation abrupte met le doigt sur la plaie. Elle souligne que, pour légitime que soit l’interrogation que je viens d’articuler, elle reste gravement incomplète si nous laissons de côté l’autre question, celle que nous nous obstinons à ne traiter qu’en paroles, je veux dire celle de la prison, celle de la politique pénale et pénitentiaire, ou plutôt de son absence. Les 54 pages du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté publiées en juillet sont accablantes sur les conditions de détention. Mais cette situation inhumaine n’a pas eu sa place dans les palabres du Grand débat national. Le président de la République a bien rappelé que « la prison, c’est la privation de la liberté et rien d’autre », mais c’était en 1974. Il y a 45 ans.

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