[Edito] Traduttore, traditore

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 47 – 19 NOVEMBRE 2018

Traduttore, traditore

Anastasia Colosimo

Edito_vignetteBranle-bas de combat ! Le délit de blasphème est de retour ! En tout cas, c’est ce que semble indiquer, à première vue, l’arrêt E.S. contre Autriche de la Cour européenne des droits de l’homme du 25 octobre dernier. Les faits d’abord. En 2011, Elisabeth Sabaditsch-Wolff, ressortissante autrichienne est condamnée au paiement d’une amende de 480 euros pour des propos tenus lors d’un cycle de conférences en 2009 sur la condition des femmes dans les pays arabo-musulmans. Le tribunal a estimé que le droit à la liberté d’expression faisait qu’elle ne pouvait être incriminée pour propos incitant à la haine raciale. Toutefois, en conformité avec l’article 188 du Code pénal autrichien condamnant toute « humiliation du dogme religieux », il a jugé que son affirmation selon laquelle Mahomet était un pédophile était diffamatoire et insultante envers l’Islam. Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, la jeune femme, convaincue de son bon droit, s’est naturellement tournée vers la Cour EDH, espérant être protégée par l’article 10 de la Convention. Que nenni ! La Cour de Strasbourg a non seulement validé la décision des autorités autrichiennes, mais s’est permis au passage de requalifier les motifs, en soutenant que les propos d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff risquaient d’« engendrer des préjugés » et « menacer la paix religieuse ».

 

À vrai dire, l’invocation de la « préservation de la paix religieuse » n’est pas nouvelle. Dans son arrêt Otto-Preminger-Institut contre Autriche de 1994, la Cour européenne avait validé l’interdiction d’un film jugé blasphématoire par les autorités autrichiennes en invoquant cette même « préservation de la paix religieuse ». Commentant cet arrêt, le philosophe et juriste Guy Haarscher avait parlé d’une « dramatisation hobbesienne » excessive qui viserait à faire croire que la simple diffusion d’un film pourrait mettre le feu aux poudres et déclencher de sérieux troubles à la paix civile et religieuse. On est évidemment tenté de transposer cette analyse aux propos d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff. Rien ne laisse penser que ses interventions auraient pu entraîner de tels troubles…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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