[Edito] Vie publique, vie privée, vie quotidienne

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°29

 

 

Denis Mazeaud
« La question qui se pose sur un plan strictement juridique, ces révélations ont-elles réellement pour objet la vie privée du détenu ? »

 

Un élu de la République a récemment, comme la loi lui en donne le droit, visité l’établissement pénitentiaire dans lequel croupit S. A. Plus surprenant, l’élu a eu accès à la salle de vidéo-surveillance de la cellule du détenu. Depuis, soucieux de faire partager au public tout ce qu’il a pu voir et de l’informer sur les moindres détails de la vie carcérale de S. A., le député se répand dans la presse écrite et audiovisuelle et décrit, par le menu, tous ses faits et gestes (V. aussi JCP G 2016, act. 851, obs. X. Labbée ).

Ce comportement a suscité l’ire de l’avocat de S.A. qui a annoncé qu’il allait déposer un référé liberté devant le tribunal administratif pour atteinte au respect du droit à la vie privée de son client.

Dans le courrier qu’il a adressé au garde des Sceaux, l’avocat reproche au député d’avoir révélé, entre autres, « que deux djellabas de couleur différente étaient accrochées au mur de sa cellule ; que celui-ci se lavait les dents et les mains ; qu’il se rendait aux toilettes ; qu’il portait un survêtement et un t-shirt sombre ; qu’il lisait le Coran ; qu’il faisait sa prière ; qu’il cuisinait ; que sa cellule était propre ; qu’il semblait très nerveux, etc, etc… ».

Certes, on ne peut que réprouver ce déballage médiatique intempestif auquel s’est livré le député qui ne peut pas se prévaloir, en l’occurrence, du droit du public à l’information, tant les informations en question n’apportent rien, ni à un débat d’intérêt général, ni à un événement d’actualité, pas même sur l’état des prisons françaises, et ne sont manifestement livrées en pâture au public que pour exciter son goût du voyeurisme.

Certes, comme le précise l’article 9 du Code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée », sans distinction, ni discrimination. « Chacun », même s’il est suspecté d’être le cerveau des attentats du 13 novembre, peut donc revendiquer une sphère d’intimité dans laquelle nul ne peut pénétrer et à propos de laquelle nul ne peut faire de révélations, fût-il élu de la République, s’il n’y consent. C’est la loi.

Pour autant, et telle est la question qui se pose sur un plan strictement juridique, ces révélations ont-elles réellement pour objet la vie privée du détenu ? Par définition, les éléments qui composent la vie privée d’une personne quelle qu’elle soit sont ceux que celle-ci peut légitimement souhaiter soustraire à la connaissance des tiers parce qu’elle concerne son intimité : sa vie sentimentale, sa vie familiale, sa santé, son adresse, sa religion, ses correspondances, son patrimoine…

En l’occurrence, les éléments que le député s’est cru autoriser à divulguer ne concernent pas vraiment l’intimité de la vie privée de S. A., mais bien plutôt sa vie quotidienne, son quotidien banal et normal, purement et simplement. Sans compter que les éléments révélés n’apporteront aucune information sur sa personnalité, puisque, par exemple chacun connaît la religion qu’il pratique et ne sera pas étonné qu’il la pratique.

En somme, le député en mal de notoriété a été trop bavard, c’est un fait, mais le droit de la personnalité de M. A. n’en a pas souffert, c’est du droit.

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 29 – 18 JUILLET 2016

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