[En questions] L’amende civile, entre sanction pénale et punitive damages ?

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 6 – 11 FÉVRIER 2019

LA SEMAINE DU PRATICIEN EN QUESTIONS

AMENDE CIVILE

L’amende civile, entre sanction pénale et punitive damages ?

L’amende civile est un mécanisme de plus en plus souvent retenu par les pouvoirs publics français pour sanctionner les fautes intentionnelles. Son montant est fixé par le juge et doit être payé par la personne responsable en plus des éventuels dommages et intérêts réparant le préjudice subi par la victime. L’amende n’est jamais versée à la victime, mais généralement au Trésor public. L’essor de l’amende civile soulève un certain nombre de questions quant à son régime juridique et aux objectifs poursuivis.

Benoît Javaux, avocat counsel, cabinet Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan

Quel est l’objectif principal poursuivi par les pouvoirs publics en généralisant l’amende civile ?

Cela fait plusieurs décennies que les pouvoirs publics cherchent à régler le problème des fautes lucratives, sans pour autant remettre en cause les principes généraux du droit français. Une faute lucrative peut être définie comme une faute intentionnelle dont les conséquences profitables pour son auteur ne sont pas neutralisées par la simple réparation des dommages causés (par exemple, les pratiques restrictives de concurrence, la publicité trompeuse ou une clause abusive dans un contrat-type de consommation). Les fautes lucratives sont donc socialement et économiquement néfastes. Le traitement ces fautes pose la question de leur sanction et celle de la réparation des préjudices causés.

La question de la réparation a donné lieu à plusieurs évolutions. On constate ainsi une extension du droit de la responsabilité civile au travers de nouveaux devoirs et donc de nouvelles fautes, comme par exemple le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (L. n° 2017-399, 27 mars 2017). Une autre tendance a eu pour objet de faciliter le traitement des contentieux de masse, en particulier par la création de l’action de groupe (cf. not. L. n° 2014-344, 17 mars 2014 relative à la consommation). La sanction des fautes lucratives a quant-à-elle émergé en dehors du droit pénal, la tendance ces dernières années étant à la dépénalisation du droit des affaires. Et c’est l’amende civile qui fait office de sanction adaptée. Le montant de l’amende civile peut en effet s’avérer particulièrement dissuasif. En outre, l’amende civile n’étant pas versée à la victime, elle a l’avantage d’éviter un transfert de l’enrichissement du fautif vers la victime. C’est dans cette logique que l’amende civile a été introduite par la Loi NRE (L. n° 2001-420, 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques) à l’article L. 442- 6 du Code de commerce pour sanctionner les pratiques restrictives de concurrence. Dans sa rédaction actuelle, cet article prévoit que le montant maximal de l’amende civile est de 5 millions d’euros. L’amende peut être portée, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement,à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques. Rappelons que les pratiques restrictives de concurrence sont nombreuses et incluent notamment la rupture brutale d’une relation commerciale établie ou la tentative d’imposer à un partenaire commercial des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Le législateur a, par la suite, tenté d’instaurer l’amende civile comme sanction de la méconnaissance du devoir de vigilance créé par la loi du 27 mars 2017. Le Conseil constitutionnel a néanmoins déclaré cette disposition non-conforme à la Constitution en raison d’« un manquement défi ni en des termes […] insuffisamment clairs et précis » (Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC : JurisData n° 2017-012604). L’amende civile pourrait en revanche être généralisée par le projet de réforme de la responsabilité civile puisqu’une mission d’information du Sénat travaille actuellement sur ce sujet en repartant du projet gouvernemental du 13 mars 2017. Dans sa dernière version connue, le nouvel article 1266-1 du Code civil prévoit qu’« en matière extracontractuelle, lorsque l’auteur du dommage a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie, le juge peut le condamner […] au paiement d’une amende civile ». L’amende ne peut être supérieure au décuple du montant du profit réalisé. Si le responsable est une personne morale, l’amende peut être portée à 5 % du montant du chiffre d’affaires hors taxes. Le champ de l’amende civile a été limité à la « matière extracontractuelle », qu’il ne faut pas pour autant sous-estimer. Elle recouvre par exemple les fautes commises avant la conclusion d’un contrat (publicité trompeuse, comportement dolosif)…

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