La Semaine Juridique Edition Générale n°24
LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS
En verve !
Avocat aux Conseils, maître Bertrand Périer partage ses journées entre un métier plutôt méconnu et l’enseignement de l’art oratoire
Non, l’éloquence judiciaire n’est pas morte avec l’uberisation du droit et les legal tech, et non, un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’est pas « un vieux monsieur compulsant des grimoires en robe de chambre au coin du feu avec son chat sur les genoux », clame Bertrand Périer ! Ancien secrétaire des deux conférences (barreau de Paris et avocat aux Conseils), le vibrionnant orateur combat de toute sa verve cette fausse image qui lui colle à l’épitoge. C’est tout de même un avocat aux Conseils, Me Mornard, qui a fait réhabiliter Dreyfus, se plaît-il à rappeler. Certes l’oralité est plus rare devant la Cour de cassation et le Conseil d’État, mais elle existe bel et bien. Et s’il est vrai que les temps ne sont plus aux effets de manche en dehors du « village gaulois » de la cour d’assises, c’est tant mieux. L’éloquence judiciaire s’est modernisée, elle ne sert plus l’esthétique : « le monologue, le grand air du ténor au IIIe acte pour se faire plaisir, c’est fini, aucun intérêt ! », assène Me Périer. Aujourd’hui, elle sert l’efficacité et l’utilité dans le débat judiciaire. Elle est de l’ordre du dialogue, au quotidien devant les juridictions, en référé administratif… C’est une éloquence « dialoguée », la traduction de questions complexes pour le juge, transformant un discours technique (médical, informatique, boursier, etc.) en discours judiciaire. Un vrai défi. Mais l’éloquence n’est pas que judiciaire, c’est avant tout la capacité à se faire entendre, « une alchimie miraculeuse », souligne avec gourmandise ce zébulon du verbe. Passionné par l’art oratoire sous toutes ses formes, slam inclus, l’avocat enseigne après des journées passées sur des mémoires ou à la barre, à « faire tout ce qui n’était pas prévu et à ne pas faire tout ce qui était prévu ». Il quitte alors les boiseries, les cheminées de marbre, l’épaisse moquette grège et les statuettes orientales qui ornent élégamment ses locaux parisiens de la rue La Boétie, pour rejoindre ses successeurs sur les bancs d’HEC et Sciences Po ou bien les étudiants d’ Eloquentia à Paris VIII en Seine-Saint-Denis (93). Une initiative née en 2011 de l’imagination de Stéphane de Freitas, ancien étudiant en droit natif d’Aubervilliers. Constatant qu’il est stigmatisé par son langage de banlieue, il crée Eloquentia dans l’idée que si le langage sépare, il peut aussi réunir. Il lance alors une formation et ce concours d’art oratoire qui mêlent allègrement rhétorique classique, théâtre, slam et exercices de présentation. Notre avocat aux Conseils s’y associe d’emblée. Un « geste citoyen » assumé par Bertrand Périer qui n’aurait jamais cru être invité à la radio ou participer un jour à une émission de Laurent Ruquier, après qu’ Eloquentia a eu les honneurs du documentaire télévisé puis du film « À voix haute » et acquis une notoriété aussi vaste que subite. Soudainement « pipolisé », l’avocat qui se rêve secrètement en chroniqueur radio ou en acteur, ne dissimule pas son plaisir, trop conscient de sa fugacité. Il croit tellement à ce projet, heureux de le porter pour ces jeunes qui, assurément, « méritent ce coup de projecteur ». « Parler c’est se dévoiler, dire qui on est etn ne pas se laisser enfermer dans les déterminismes sociaux parce qu’on ne maîtriserait pas les codes d’un milieu », résume celui qui est le premier bachelier de sa famille. Révéler sa personnalité à travers un discours simple et non formaté, c’est tout ce qu’il attend d’un orateur. Et il ne lui faut pas plus de quelques secondes pour déceler le « bon orateur » à sa façon de se faire entendre et de capter l’attention. Exit les prétentieux, les déclamateurs, et ceux qui se dérobent au grand frisson de l’improvisation en récitant leurs notes. Affable et bienveillant Me Périer dit se montrer féroce devant l’arrogance, seul travers qu’il ne parvient pas à pardonner. Mais un amoureux de Chopin peut-il vraiment être si méchant ?
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°24 – 12 JUIN 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
Le magazine scientifique du droit.
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck