Enquête AMF

 Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°23

PATRICK JAÏS, avocat associé, de Pardieu Brocas Maffei, expert du Club des juristes

La lettre circonstanciée dans la procédure d’enquête AMF : un premier pas vers le contradictoire ?

Après deux ans de pratique, quels enseignements tirer des réformes mises en œuvre fin 2010 introduisant des innovations dans la procédure applicable devant l’Autorité des marchés financiers (AMF), notamment quant aux droits de la défense dès le stade de l’enquête ?

On retiendra l’adoption d’une « charte des enquêtes », très attendue en ce qu’elle crée notamment l’obligation pour les enquêteurs de l’AMF d’enquêter à charge et à décharge (AMF, sect. I.B.1.F.) . Par ailleurs un nouvel article 144-2-1 a été ajouté au règlement général de l’AMF, lequel impose au service de la direction des enquêtes d’adresser à la personne mise en cause une « lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs » à l’issue de la phase d’enquête.

La lettre circonstanciée autorise toute personne risquant d’être mise en cause d’exercer un droit de réponse, dans un délai d’un mois, avant que le dossier fi nal et le rapport d’enquête ne soient transmis au Collège qui décidera alors de l’opportunité de poursuivre, en ayant connaissance de sa réponse.

Elle permet ainsi, en théorie, l’introduction d’une certaine forme de contradictoire au stade de l’enquête et évite qu’une personne ne puisse être mise en cause sans avoir été au préalable entendue, ou invitée à le faire formellement.

Cependant, l’exercice pratique appelle un constat plus nuancé quant à l’efficacité de ce droit de réponse, en particulier à la lumière de l’alourdissement substantiel du pouvoir de sanction de l’AMF et de la possibilité pour l’AMF de former appel des décisions rendues par la Commission des sanctions.

Tout d’abord, le principe de l’égalité des armes impose que la personne concernée puisse avoir accès aux pièces pertinentes du dossier afin de répondre efficacement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

En outre, une juste application du principe du contradictoire et de la présomption d’innocence impose que la défense s’exprime en dernier. Or, en pratique, les moyens de défense présentés par la personne concernée dans sa réponse à la lettre circonstanciée pourront être utilisés par les enquêteurs au sein du rapport d’enquête en vue de soutenir la cause de l’accusation, et ce sans nouveau droit de réponse.

Enfin, quand bien même la réponse à la lettre circonstanciée est jointe au dossier transmis au Collège, il n’en demeure pas moins que ce sont les enquêteurs qui sélectionnent les pièces du dossier transmis au Collège et leur ordonnancement.

La nécessité pour la personne concernée d’accéder aux pièces clés du dossier, dès le début de la procédure, s’impose d’autant plus que la jurisprudence valide le processus de sélection des pièces par les enquêteurs (CA Paris, pôle 5, ch. 7, 5 janv. 2010, n° 2009/06017) . La seule limite réside dans la possibilité pour le justiciable de prouver que la sélection effectuée contrevient au principe de loyauté en ayant « distrait des éléments de nature à influencer » la décision de l’AMF, preuve qu’il sera en pratique quasiment impossible d’apporter.

On pourrait à cet égard s’inspirer des solutions retenues en matière de contrôles de l’AMF, les extraits du rapport de contrôle concernés étant transmis avec les pièces pertinentes à l’entité contrôlée avant la transmission du dossier au Collège.

Compte tenu des enjeux, il serait en définitive plus opportun de se rapprocher des conditions d’une procédure d’instruction plutôt que du régime de l’enquête préliminaire.

Ces modifications sont d’autant plus souhaitées que, contrairement à la Commission des sanctions, il n’existe aucune procédure de récusation des membres du Collège appelés à statuer sur l’opportunité de délivrer une notification de griefs, étant précisé que la décision du Collège est prise de façon opaque et sans recours direct.

Si les avancées de 2010 doivent être encouragées, elles ne restent qu’un premier pas vers le respect des principes du contradictoire, de l’égalité des armes et, plus généralement, des droits de la défense afin de tendre en asymptote vers l’ambition, affichée par Mme Claude Nocquet lors du dernier colloque de la Commission des sanctions de l’AMF, de véritablement transformer la Commission des sanctions en « tribunal des marchés financiers ».

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 3 JUIN 2013

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